La course à la démesure

Soumis par pierre-yves le ven, 12/03/2010 - 19:29

La rivalité entre villes réclame des architectes des prouesses d'élévation : en 1220, Amiens pousse le record à 42,3 m de hauteur sous voûtes ; bientôt dépassé par le chœur de Beauvais (46,7 m). Ce dernier chantier, dont la voûte s'écroule en partie en 1284, marque la fin de la course des architectes gothiques vers la démesure. Amiens est la plus grande cathédrale : 7.700 m² (ND de Paris : 5.500 m²). Son architecte, Robert de Luzarches, a commencé par le nef (1220-36), ce qui est inhabituel. Il fut empêché par les frères de l'hôtel-Dieu qu'il fallut exproprier. Ils firent traîner l'affaire 10 ans (1230-40), de procès en procès, et obtinrent de bonnes indemnités. Le chœur fut reconstruit avec la croisée par son successeur, Thomas de Cormont, car Luzarches mourut en cours de chantier, et achevé en 1269.

Notre-Dame de Paris est typiquement la cathédrale de transition. Sa construction débute en 1163, par le chœur de la cathédrale Notre-Dame existante. On maintient la nef de cette ancienne cathédrale. Le maître-autel est consacré en 1182 par le jeune roi Philippe II, âgé de 15 ans. Une seconde église précède la cathédrale, dédiée à Saint-Étienne, qu'il faudra démolir à partir de 1200, au fur et à mesure de l'extension de la nouvelle nef vers l'Ouest. On reconnaît les principes du premier gothique (piliers, tribunes, pas d'arcs-boutants, intérieur sombre, fenêtres hautes étroites, voûtes sexpartites). En 1178, les voûtes sont renforcées par des arcs-boutants (les arcs-boutants sont apparus, semble-t-il pour la première fois, au chœur de la cathédrale de Sens et au chœur de l'abbatiale de Saint-Germain-des-Prés, vers 1160). Vers 1220, les fenêtres hautes sont agrandies au détriment d'une rangée de roses situées en dessous des fenêtres (que l'on voit encore au transept reconstitué par Viollet-le-Duc, vers 1860). La toiture des tribunes est abaissée et remplacée par des terrasses. Les arcs-boutants compensent les efforts que reprenaient les combles des tribunes. Ils sont dotés de rigoles pour évacuer les eaux pluviales. Enfin, les dernières travées de la nef sont dotées de piliers cantonnés (colonnes engagées dans le pilier qui monte jusqu'à la voûte).

Les bas-côtés alternent des piliers cylindriques et des piliers cantonnés. Usuellement, les piliers sont construits par assemblage de tambours, et pas avec des colonnes taillées dans le lit de la carrière (en délit"), comme les colonnes romaines ou les obélisques égyptiens, car ces dernières sont moins porteuses que des tambours appareillés. Le dépôt des alluvions a été suffisamment comprimé depuis des millénaires pour supporter des contraintes verticales, mais il n'a pas de résistance dans le sens horizontal. Toutefois, la résistance à la torsion des colonnes en délit est mise à profit pour les piliers des bas-côtés qui reçoivent les poussées horizontales issues des croisées d'ogive.

Le parti adopté à Bourges (1195) est exceptionnel, même s'il a servi de modèle au Mans et à Tolède. En plan, la nef est encadrée par des doubles collatéraux, et il n'y a ni transept, ni chapelle rayonnante, du moins à l’origine. En coupe, le vaisseau central de 37 mètres de hauteur à la clef de voûte est épaulé un très haut collatéral de 27 mètres, et second de 9 mètres. Enfin, les voûtes demeurent sexpartites.

A la fin du XIIe siècle, Chartres inaugure une nouvelle phase de l’art gothique. L’architecte renonce en effet à la voûte sexpartite pour l’établir sur plan barlong, et par là même supprimer l’alternance des supports. La ligne de faîte des voûtes est horizontale. Enfin, la colonne cylindrique est remplacée par un support complexe dont le noyau central circulaire est entouré de quatre colonnes qui montent jusqu’au chapiteau.