La vie politique et sociale

Soumis par pierre-yves le jeu, 11/03/2010 - 00:22

La construction des cathédrales est liée à la renaissance des villes, à la naissance de la bourgeoisie et aux premières libertés urbaines qui vont mettre au second plan le système féodal.
Le système féodal est né de la chevalerie. Le Roi ne peut pas assurer la protection d'un vaste territoire. Aussi, il délègue la surveillance d'un territoire à des seigneurs assez riches pour se payer des montures, en échange de titres de noblesse, et de la capacité de lever un impôt sur les protégés. L'aristocratie soutient le développement de l'Église et favorise la naissance des bourgs. Philippe II remplace les grands seigneurs de son entourage par un conseil consultatif de membres choisis dans les classes moyennes et soutient les communes contre les nobles. La bourgeoisie naissante (artisans, marchands) commence à contester l'autorité des seigneurs et réclame plus de liberté (les franchises, les villes libres) et des garanties économiques. La fin du Moyen-Âge sonne le glas de la féodalité et la montée en puissance des Communes. La première charte communale est accordée à Cambrai, en 1077 ; puis viennent Saint-Quentin (1080), Noyon (1108), Amiens (1113), Soissons (1116), Senlis (1173), Beauvais (fin du XIe siècle). Pour la première fois, les communes soutiennent une guerre royale, à Bouvines, en 1214. À Paris, la hanse des "marchands de l'eau" obtient certains privilèges (siège social au "parloir des bourgeois", impôt) au XIIe siècle, même si, en 1256, Saint-Louis leur retire la prévôté royale, et sépare les pouvoirs entre le représentant du roi et le représentant du peuple.
Le gouvernement de Philippe II repose sur la rationalité (qui se retrouve également dans l'organisation des chantiers). La France prospère grâce aux progrès techniques et à la réorganisation du système judiciaire, financier et administratif.
- Les routes empierrées se généralisent ; simultanément, la diffusion du fer à cheval, du collier d'épaule et de la traction en ligne favorise les transports, et delà, les échanges aussi bien de biens que d'idées.
- L'homme jette un regard différent sur le monde qui l'entoure. Il apprend à domestiquer les forces de la nature (énergie hydraulique et éolienne) : les premiers moulins à aubes et à vent font leur apparition au XIIe siècle. L'arbre à came permet de transformer un mouvement rotatif en mouvement alternatif. Le moulin sert non seulement à moudre le blé (mouvement circulaire), mais aussi à fouler les draps, brasser la bière, écraser la pâte à papier, broyer l'écorce de chêne pour le tannage, actionner soufflets et marteaux pour forger les métaux. Les forgerons fabriquent des outils en acier résistants, qui permettront de tailler des pierres de plus en plus dures, comme la pierre de Volvic. Les pierres plus dures s'adaptent à des pressions plus intenses, et à des murs moins épais. Le gothique saura en tirer partie. Précédemment, les églises romanes sont faites en "petit appareil" (pierres cassées au marteau et non pas taillées). Le mur est rempli de pierraille (blocage), peu cohérent et peu résistant, sauf par l'effet de masse (mur épais). Et encore, toutes ces églises ne supportent pas de voûte en pierre.
- Le progrès technique libère l'homme des servitudes physiques. L'esprit libéré de l'abrutissement, l'homme peut remettre en cause la tradition et conquérir son libre-arbitre. En parallèle, la société évolue, et accorde plus de respect à l'individu (humanisme) ; le servage diminue. Du point de vue artistique, les artistes se déplacent, et leurs idées avec eux. La diffusion du gothique est facilitée par cet environnement.
- Le commerce se développe. Des villes se créent autour des lieux d'échange (les foires), comme à Troyes en Champagne. La croissance démographique fait exploser les villes qui débordent des remparts et créent les faubourgs, ou "bourgs du dehors", du latin foris burgum.
Le commerce, en enrichissant les commerçants, favorise les grands chantiers : d'une part, parce que les chantiers exacerbent la fierté locale de posséder la plus belle ou la plus grande cathédrale (rivalité entre les communes), d'autre part, parce que l'Église, en donnant mauvaise conscience à ceux qui s'enrichissent, attire les dons et les legs, pour se faire pardonner. À défaut de partir en croisade en Terre Sainte (à plus forte raison, quand celles-ci se soldent par des échecs, en 1147, 1184, 1204, 1217, 1249 et 1270 - Louis IX meurt à Tunis), les bourgeois achètent des "indulgences" et participent ainsi à la "croisade des cathédrales".
La croissance économique, qui va de pair avec la croissance démographique, est propice aux grands chantiers, qui, à leur tour, favorisent l'économie. D'une part, les églises profitent de la main d'œuvre abondante et de la richesse des corporations (celles-ci participent au financement, ou offrent des éléments de décoration, comme les vitraux). En retour, les grands chantiers suscitent des besoins grandissants de matériaux, de transports, et d'artisans (voir plus loin, l'évolution des maçons).
Quant à l'Église, elle demeure omnipuissante, car elle règne sur les esprits, et surtout sur les plus démunis. L'Hôtel-Dieu prend soin des corps (faute de système d'aide sociale et d'hôpitaux). L'église régit la vie quotidienne (prières) et alloue les "congés", une trentaine de jours par an (plus la demi-journée précédente), qui correspondent à des fêtes religieuses. Mais l'église perd progressivement son rôle dans l'éducation, avec l'émergence des Universités (université de Paris, fondée sur la rive gauche, vers 1210 ; collège de la Sorbonne, fondé en 1257). Les grandes cathédrales sont l'ultime manifestation de l'Église toute puissante.
Les moines ne sont en reste du développement économique. Ils obtiennent l'autorisation de mettre en valeur les terres, de défricher et d'exploiter les cours d'eau et les mines (ex : Cisterciens à Fontenay). De 1050 à 1250, la superficie de la forêt ne cesse de décliner.
Du point de vue géopolitique :
Cette période est marquée par les règnes de Philippe II (né au Palais de la Cité, à Paris, roi de 1180 à 1223 ; surnommé "Auguste" après la victoire de Bouvines, en 1214) et de Louis IX (canonisé Saint-Louis après sa mort ; roi de 1226 à 1270).
Philippe II inaugure une période d’expansion territoriale. De 1181 à 1186, Philippe II combat une coalition de barons en Flandre, en Bourgogne et en Champagne, gagnant notamment l'Amiénois et le Vermandois à leurs dépens. Puis, en 1202, parce qu’il a enlevé Isabelle d'Angoulême pour en faire se femme, le roi d’Angleterre, Jean, est cité devant les pairs de France et condamné par défaut à la perte de ses possessions françaises : la Normandie, l'Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou. C'est alors qu'il reçoit le surnom de “ Jean sans Terre ”. À la suite de la guerre engagée par le roi Philippe II, le roi Jean ne peut conserver en 1206 que l'Aquitaine et son fief du Poitou. En 1207, Jean se brouille avec le pape Innocent III au sujet du titulaire de l'archevêché de Canterbury, Étienne Langton. Innocent III jette l'interdit sur le royaume (1208) puis excommunie son roi (1209), avant d'autoriser Philippe II à conquérir l'Angleterre !
La victoire de Bouvines, à 16 km au sud-est de Lille, en 1214, scelle la paix avec les Plantagenêts. Les armées coalisées, levées pour contrer la puissance grandissante de la France, rassemblent en effet les troupes d'Othon IV, empereur du Saint Empire romain germanique excommunié par le pape, celles de son oncle, le roi d'Angleterre Jean sans Terre, de Ferdinand du Portugal, comte des Flandres, et de Renaud, comte de Boulogne. Le roi de France brandit l'oriflamme de Saint Denis (comme Louis VI en 1122). Il est soutenu par la papauté. On raconte que l'évêque de Beauvais participe à la bataille, armé d'une massue. Se joignent aux côtés du roi, Frédéric II de Hohenstaufen, rival d'Othon IV pour la couronne impériale, et, pour la première fois dans l'histoire de France, les milices communales des villes du nord du royaume. La bataille a lieu un dimanche, ce qui est inhabituel, et renforce son caractère sacré. Quarante cinq ans plus tard, en 1259, le traité de Paris signé par Saint-Louis cédera à l'Angleterre le Quercy, le Limousin et le Périgord contre la Normandie, le Maine, l'Anjou, la Touraine et le Poitou, réglant ainsi durablement le conflit engagé depuis Philippe Auguste et Jean sans Terre. Henri III d’Angleterre redevient alors l'homme-lige du roi de France en tant que duc d'Aquitaine.
Avec la papauté, les relations sont excellentes :
- Philippe II chasse les juifs du royaume en 1183. D'où les représentations de l'Église victorieuse et de la Synagogue aux yeux bandés.
- il participe à la troisième croisade en Terre Sainte (1189-92). Tout au long du siècle, les Croisades continuent d'entretenir la ferveur religieuse et de ramener des reliques (tête de Sainte Anne, ramenée à Chartres en 1204 ; tête de Saint Jean Baptiste volée à Constantinople et ramenée à Amiens en 1206 ; couronne d'épines achetée par Saint-Louis au roi Beaudoin de Jérusalem, au prix faramineux de trois fois le coût de la Sainte-Chapelle, spécialement construite de 1241 à 1248, pour l'accueillir). Les croisés ramènent également de Constantinople des œuvres d'art byzantines qui influencent les verriers et les sculpteurs.
- Philippe II se rend en pèlerinage à Chartres, en 1210, et fait un don, pour confirmer son soutien à la reconstruction.
- au concile de Latran (1215), le pape Innocent III condamne l'hérésie cathare, qui se répand dans le Midi de la France depuis les années 1150 (elle a été "importée" d'Orient par les croisés !), et charge le roi de France de l'extirper. Le roi nomme Simon de Montfort à la tête d'une "croisade" contre le comte de Toulouse, Raymond VII, qui expiera sa faute sur le parvis de Notre-Dame de Paris (1229).
- les liens entre la royauté et l'Église se resserrent à chaque sacre en grande pompe à Reims (Louis VIII en 1223, Saint-Louis en 1226).
Le règne de Saint-Louis coïncide avec la rénovation ou l’édification des cathédrales de Paris, Rouen, Amiens, Beauvais, Auxerre, nef de Bourges, Metz, Toul, c’est à dire du deuxième cercle autour de Paris, après le premier cercle comprenant Chartres, Reims, Sens, etc.
Les liens avec la papauté seront altérés avec la montée des tensions géopolitiques : en 1294, un différent oppose Philippe le Bel au pape Boniface VIII au sujet du financement de l'effort de guerre. Le roi réunit des représentants des trois ordres (ceux qui prient, ceux qui travaillent et ceux qui défendent le royaume), en 1302. Cette assemblée se réunit à Notre-Dame de Paris, en territoire religieux. Elle préfigure l'institution des Etats généraux, qui permettra le dialogue avec le pouvoir royal, jusqu'en 1789.