Le financement des cathédrales

Soumis par pierre-yves le ven, 12/03/2010 - 23:47

Le financement est assuré principalement par les revenus du diocèse (quêtes et rentes de location des domaines). Le diocèse de Paris possède, par exemple, les îlots en amont de la Cité (Île-aux-Vaches et Île-Notre-Dame), qui seront réunis et lotis au XVIIe siècle (île Saint-Louis). À cette époque, les congrégations et les chapitres possèdent des terrains considérables, qui sont défrichés, assainis et mis en culture. À Clermont-Ferrand, pour accélérer le financement, on recourt à l'affermage. À charge du fermier de collecter les fonds qu'il avance. Pour compléter les revenus, les évêques font commerce des indulgences (elles sont accordées par le pape), et organisent des tournées de reliques dans la campagne, pour solliciter les dons. En 1113, les chanoines de Laon n'hésitent pas à franchir la Manche, au risque de se faire voler durant la traversée, pour visiter Canterbury, Exeter, Winchester et Salisbury, en brandissant des reliques de la Passion (un morceau de croix et un fragment de l'éponge qui a essuyé le visage du Christ). Le Concile de Latran, en 1215, tempère l'ardeur des chanoines, en réglementant l'authenticité des reliques. Ces tournées suscitent des litiges quand elles empiètent sur un évêché voisin. Elles requièrent bientôt l'autorisation du Roi. Autre source de revenus : l'Église aide les personnes âgées et les malades (par exemple à l'Hôtel-Dieu), puisque le système hospitalier n'existe pas encore, et obtient souvent le bénéfice des testaments. À Paris, la rumeur attribue des dons des pécheresses (prostituées) et d'usuriers repentis. A Reims, l'évêque instaure une taxe sur la fabrication des draps et sur leur vente, avant d'étendre cette taxe sur tout ce qui est produit dans son diocèse et exporté. Il tire profit de l'économie florissante de l'époque. Mais il va un peu trop loin : en 1233, les bourgeois ont prêté à la ville d'Auxerre des sommes importantes, avec intérêt (ce que la morale chrétienne réprouve !). L'évêque considère qu'il s'agit d'une exportation et donc taxable ! Se sentant menacés de spoliation par l'évêque, les bourgeois attaquent le chantier de la cathédrale, en l'absence de l'évêque, retiennent celui-ci hors des murs. Ils réutilisent même les matériaux du chantier pour fortifier la ville. L'évêque obtient le soutien du roi Louis IX et reprend militairement la ville. Oubliant la règle charitable du pardon, il fait arrêter les meneurs et les échevins et raser leurs maisons. Les travaux de la cathédrale reprennent en 1241, après 8 ans d’interruption. À Laon, la population s'insurge contre l'évêque Gaudry en 1115. Louis VI intervient pour calmer le conflit qui dure 3 ans. La cathédrale est incendiée. L'édifice est reconstruit en 12 ans. À Cambrai, l’évêque s’oppose fréquemment au peuple. À Strasbourg, les bourgeois repoussent l'armée de l'évêque et prennent le pouvoir à la tête de la fabrique en 1286. La célèbre flèche sera construite avec les dons des bourgeois. Autre conflit : à Beauvais, après l'incendie de 1225, l'évêque est en butte aux bourgeois, qui obtiennent le soutien du roi Louis IX. Seul le chœur est élevé (en 13 ans) et c'est même la plus haute voûte (46,7 m) du gothique, mais elle ne tiendra que 46 ans. À la fin du XIIIe siècle, c'est un édifice ruiné et inachevé ! Les bourgeois se soulèvent à nouveau, en 1304, contre le coût exorbitant de la cathédrale. Les travaux démesurés sont arrêtés. Les relations entre les bourgeois et l'évêque ne sont pas toujours aussi tendues. Les bourgeois contribuent au financement de la cathédrale à Albi et Meaux, par exemple. Ou bien les corporations s'achètent les bonnes grâces de l'évêque en finançant des chapelles, des vitraux ou des tableaux. C'est une forme de publicité adressée aux citadins : "admirez les beaux ouvrages des menuisiers, remarquez les drapiers, prêts à livrer la meilleure marchandise..". Au Mans, les drapiers, les changeurs, les fourreurs, les boulangers et les vignerons financent des chapelles dédiées à leurs saint patrons. En contrepartie, les corporations peuvent utiliser la cathédrale ou des chapelles pour leurs réunions ou pour des conférences. Il faut se rappeler qu'à cette époque, la cathédrale est non seulement un lieu de culte et de recueillement, mais aussi, en quelque sorte, la maison du peuple. On y mange, on y boit, on peut introduire son chien, et parler tout haut (un peu comme dans les temples bouddhistes actuels). Les municipalités y tiennent réunion, avant de se faire construire des "hôtels de ville". La tradition des dons se poursuit au delà des grands chantiers, puisqu'à Paris, les orfèvres feront don de tableaux le 1er mai, à partir de 1449. En Italie, les communes sont des promoteurs : Florence, Orvieto, Sienne. À Barcelone, ce sont les armateurs et les marchands qui financent la construction de Santa Maria del Mar (1328). Les moyens de financement manquent souvent, ce qui explique que les chantiers s'étalent sur des décennies (200 ans à la cathédrale de Lyon), pendant les quelles les architectes se renouvellent. Chacun applique les méthodes en cours, et le style de son époque. C'est pourquoi les styles sont multiples sur un même édifice. Notre-Dame de Paris est un exemple du renouvellement de style.