Les autres métiers

Soumis par pierre-yves le ven, 12/03/2010 - 23:53

Les maçons représentent la principale force de travail. À leurs côtés, travaillent les charpentiers et les forgerons, qui, eux aussi, voyagent de chantier en chantier. On leur attribue la protection de saint Christophe, tandis que saint Thomas patronne les maçons. Ils n'ont pas le système de loge et de confrérie internationale. Aussi doivent-ils emmener avec eux leurs bagages et monnaies, au risque de se faire voler en chemin. Les charpentiers ou chappuis sont organisés comme les maçons, en corporation. Comme chez les tailleurs, le travail est rationalisé (éléments répétitifs préassemblés au sol, dans la limite de la capacité de levage des engins). Le maître est responsable de l'approvisionnement, dans les forêts, et du transport, qui en augmente considérablement le coût. Les maîtres d'ouvrages possèdent souvent des forêts, du moins dans le Nord. Le transport se fait par voie d'eau lorsque cela est possible (exemple : par la Loire, pour approvisionner Saint-Benoît-sur-Loire). La ressource en bois se fait rare en Île-de-France au XIIe siècle, par suite des défrichements excessifs, des extensions urbaines, des besoins de bois pour la fonte des métaux et pour les machines de guerre. Suger raconte qu'il a trouvé, par hasard, et contre l'avis de ses conseillers, les 12 poutres nécessaires à son ouvrage. Philippe-Auguste réglemente, en 1219, la vente du bois des domaines royaux. Mais le mauvais entretien des forêts et le déboisement excessif raréfient encore les longues souches au XIVe siècle. Conséquence : les nefs sont moins larges (!), puisque la longueur des poutres de charpente dicte la largeur de la nef. Faute de gros bois, les charpentiers apprennent à exploiter des bois à section plus faible, et plus légers. Ils inventent des étais et des butées complexes. Mais au début ils ne parviennent pas à édifier des charpentes autoporteuses, de grande hauteur. Les premières charpentes s'appuient sur les voûtes, au risque d'accentuer la poussée latérale. Notre-Dame de Paris applique ce procédé jusqu'en 1200. C'est après 1220, que l'on décide d'exhausser de trois mètres les murs "goutterots" (ainsi nommés parce qu'à l'époque romane, ils contenaient une gouttière à leur sommet), qui supportent directement la charpente, au-dessus de l'extrados des voûtes en ogive. La charpente est construite en bois vert, car celui-ci est plus facile à travailler que le bois sec. La charpente et le toit sont bâtis avant les voûtes, de manière à mettre l'édifice hors d'eau. Les arcs sont appareillés sur des cintres et les voûtes sur des coffrages, mais ce sont les maçons qui font les cintres des voûtes et qui les démontent quand le mortier a séché. Le chapiteau (absent à partir de l'époque "flamboyant") sert à positionner les cintres. À Metz, les voûtes ne sont pas en pierres appareillées, mais en blocage de pierre et de chaux (comme à l'époque romane). Dans tous les cas, le coffrage est maintenu un an pour s'assurer de la prise des mortiers. On scie à ce moment les tirants provisoires en bois, qui ont été tendus entre les piliers, si toutefois les contreforts sont en place. Il reste des traces des tirants à Amiens, Chartres et Reims. Les charpentiers réalisent également les échafaudages (ou ponts)et les engins de levage, au fur et à mesure de l'avancement du chantier. Les couvreurs travaillent en phase avec les charpentiers, car la charpente est calculée en fonction de la toiture. Ils ne sont pas organisés en maîtrise. Les toitures reflètent, comme la pierre, la géologie environnante : elles sont de lauzes dans les massifs hercyniens (Dordogne, La Chaise-Dieu), d'ardoise en Anjou (l'ardoise est réservée aux bâtiments officiels), de tuiles le plus souvent, et toujours dans le Midi. Dans ce cas, la toiture est à faible pente car les tuiles tomberaient sous leur propre poids sur une pente raide. Notre-Dame de Paris est couverte de plomb (feuilles de trois millimètres, clouées). La cathédrale de Reims est d'abord couverte de tuiles, puis, entre 1300 et 1311, de plomb. Mais le plomb sera fondu à la Révolution. Le bardeau de bois et le chaume (glui de paille) sont utilisés pour les bâtiments provisoires, comme la loge. Les menuisiers ou huchiers sont de la même corporation que les charpentiers. Ils exécutent les châssis de fenêtres et les portes. Enfin, interviennent les sculpteurs de figures, les peintres et les verriers. La décoration, plus encore que l'architecture, est soumise au commanditaire pour avis. Les sculpteurs. La notion artistique, aujourd'hui attachée au métier de sculpteur, n'existe pas. Cette notion sera introduite plus tard, par la Renaissance. Le sculpteur n'est pas libre d'insuffler une originalité à son œuvre car il doit respecter les stéréotypes et les canons dictés par l'Église. Toute forme d'innovation serait un blasphème. Il faut recopier les styles ancestraux, de même que les "copistes" recopient inlassablement les manuscrits. N'a-t-on pas comparé les bas-reliefs à des pages pour édifier le peuple illettré. La cathédrale de Chartres est finie en 1210, mais on met 11 années supplémentaires à la décorer. Reims est couverte de 3.000 statues et ND de Paris de 1.200. L'usage impose un ordre : au centre les apôtres, à gauche, les confesseurs, à droite, les martyrs. La finition est différente suivant le registre. Par exemple, des scènes de métiers seront moins affinées qu'une série de personnages saints. La Révolution a souvent décapité ces derniers, en les prenant pour des personnages royaux (à tort, ou à raison). Les peintres ont perdu l'essentiel de leur travail, car les surfaces à leur disposition ont disparu au profit des vitraux ! Il leur reste les statues à peindre et à dorer, car, si  nous l'avons oublié (et si Viollet-le-Duc a tout fait pour), les statues étaient bien peintes et dorées, en ces temps là. Des traces, ici et là, nous le rappellent. Les peintres-verriers prennent la place des peintres de fresques. Ils sont organisés en maîtrise. Mais ils sont rémunérés à la tâche ou au forfait. Selon un traité du moine allemand Théophile, écrit au début du XIIe siècle, on faisait fondre un mélange de cendres de hêtre et de fougère (produisant la potasse) et du sable de rivière. Le verre est coloré par addition de minéraux dans le creuset au cours de la fusion (cuivre pour le vert-jaune, cobalt pour le bleu, manganèse pour le pourpre). La grisaille est une peinture obtenue en mélangeant de l'oxyde de fer et du cuivre dans un fondant à base de poudre de verre et de vinaigre. Elle est appliquée sur la face interne (non soumise aux intempéries). Le verrier ne sait pas fabriquer un carreau plat. Il ne sait que souffler un cylindre (manchon), à partir d'une bulle qu'il roule sur un marbre. Il déroule ensuite le cylindre avec des tenailles, pendant que le verre est encore chaud (le coulage est inventé à la manufacture royale de Saint-Gobain, près de Soissons, vers 1670). Aussi, ne réalise-t-il que des petits carreaux. Les fenêtres sont faites de petits carreaux, en losange ou en carré, assemblés comme des vitraux. La découpe du verre au fer chaud est également délicate. Le diamant n'est utilisé qu'au XVIe siècle. Au mieux, le verre se casse en ligne. Au pire, il prend une forme aléatoire, que le maître-verrier s'efforce de combiner comme une pièce de puzzle. Le verre plat est rare et cher, et réservé aux palais et aux églises. Le peuple n'a guère les moyens de se payer des carreaux de verre. Il ferme ses fenêtres avec les volets, du papier huilé ou des vessies de porc tendues. Pendant l'hiver, les volets restent clos pour maintenir le peu de chaleur d'un maigre feu de bois. Les maisons sont donc très sombres, surtout dans les villes aux rues étroites. Le contraste des cathédrales recevant la lumière par de hautes verrières devait frapper les esprits. L'émerveillement était accru par l'immensité des cathédrales, dominant les maisons qui avaient deux étages au maximum. Le pèlerin du Moyen-Âge, qui mesurait rarement plus que 1,5 m, voyait jaillir les flèches et les gâbles au détour du lacis des ruelles. Quand il pénétrait dans la nef, il était saisi par l'espace dégagé, car il n'y avait pas de chaise comme de nos jours (elles ont été rajoutées au XVe siècle). Seul le chapitre disposait de stalles dans le chœur, séparé de la nef par le jubé et des tentures. Du fond de la cathédrale, fusaient les cantiques récemment mis en forme (les principes fondamentaux de la polyphonie sont établis par Léonin, chef du chœur de Paris, et son successeur, Pérotin). De l'autel, placé à la croisée du transept sur une estrade, se diffusait l'encens dont l'odeur douce et amère à la fois envahissait la nef, en répandant une fumée bleutée qui filtrait les rayons de lumière. Tout contribuait, avec l'architecture élancée, à impressionner les fidèles et élever les âmes : les statues-colonnes à l'entrée étaient dorées, et rutilantes au soleil, tandis que l'intérieur s'illuminait au diapason des vitraux. Vitraux et statues racontaient des scènes de l'Évangile ou de la vie quotidienne, comme des bandes dessinées, pour analphabètes. On trouve enfin d'autres métiers qui n'ont pas d'organisation en maîtrise : enduiseurs, fèvres, cordiers (pour les échafaudages et les engins de levage), forgerons (entretien des outils), serruriers, ferronniers. Ces derniers réalisent les renforts des portes. À Notre-Dame de Paris, les vantaux sont décorés de superbes ferrures à rinceaux (boucles) qui s'enroulent sur des animaux et des feuilles. Le travail était si remarquable, qu'il fut jugé diabolique, c'est à dire que la légende soupçonna le ferronnier de s'être fait aider par le diable.