Les matérieux et la géologie

Soumis par pierre-yves le ven, 12/03/2010 - 23:51

Les cathédrales dans leur environnement : matériaux et géologie Le maître est également responsable des carrières. Les carrières sont sélectionnées en fonction de la qualité du matériau (calcaire, grès) et de la distance au chantier. Les matériaux de construction reflètent le terrain environnant. Sur les plateaux du bassin parisien, on trouve un beau calcaire, en montagne, point de calcaire, mais du granit ou de la lave (ex : Clermont-Ferrand) et dans le Midi, du galet ou un matériau fabriqué comme la brique. Au Roussillon, à Elne et Perpignan, la brique renforce les murs faits de galets déposés en arrête de poisson. matériaux dureté régions villes molasse gréseuse 0 pourtour alpin Vienne, Valence, Chambéry craie tuffeau 0 vallée du Cher Nantes calcaire tertiaire 1 Ile-de-France   calcaire jurassique 1 Bourgogne   calcaire jurassique 1 haute vallée de la Seine normande Rouen, Vernon calcaire 1 Provence Narbonne calcaire schisteux 1   Digne grès 1 contreforts Bretagne, Massif Central ou Vosges Rodez, Alet (près de Saint-Malo), Metz, Strasbourg granit 2 Bretagne, Massif Central Quimper, Limoges, Tulle basalte 2 Auvergne Clermont-Ferrand, Saint-Flour, Le Puy, Agde dureté = 0 (fragile, se dégrade), 1 (correcte), 2 (difficile à sculpter).  La pierre de taille la plus noble est le calcaire. Lorsqu'il fait défaut, il faut l'acheminer, même de loin, ou inventer des solutions de substitution  :

  1. en Bretagne, pour la nef de Saint-Pol de Léon et le chœur de Saint-Malo, on importe (par voie maritime) du calcaire de Caen, plus facile à ouvrager que le granit.
  2. la basse vallée de la Seine normande n'offre que de la craie et du silex, aux quels on préfère la brique.
  3. à Lyon, on réutilise des blocs des monuments romains de Fourvière, en plus du calcaire de Lucenay, extrait à 15 kilomètres du chantier.
  4. le Midi de la France est pauvre en pierre de taille : les cathédrales d'Albi et de Saint-Sernin de Toulouse et la plupart des cathédrales du diocèse de Toulouse sont en briques, parfois renforcées par du calcaire prépyrénéen

Plusieurs matériaux sont utilisés en fonction des contraintes de construction : au Mans, on adopte un grès du crétacé (de Sargé), très dur, pour les contreforts, et un fin calcaire oolithique du jurassique pour les parties hautes. Le tuf, parce qu'il est léger, est employé en voûtains. Mais à Troyes, le calcaire crayeux utilisé au XIIIe siècle doit être remplacé par une pierre plus robuste au XVIe siècle. Pour simplifier le travail à Saint-Denis, Suger a cru bon de lever des piliers découpés d'un seul bloc (comme les obélisques), dans le lit de la pierre (on dit "en délit", car la pierre se dépose par "lits" et se "délite"). Mais rapidement ces piliers se fissurent par flambement et il faut renoncer à cette méthode. La pierre est extraite "à force de pics, coins et liens de fer". Elle est ensuite sciée en blocs et reprise à la ripe. L'exploitant ou perrerier est soit concessionnaire de la carrière (qui appartient au maître de l'ouvrage à construire), soit propriétaire. Il dispose d'une forge sur place pour réparer les outils. Le transport est assuré depuis les carrières par la maître d'œuvre, par voie fluviale (la Bièvre, pour alimenter Notre-Dame de Paris), ou maritime (quand les carrières de Caen fournissent Canterbury), ou  par voie terrestre à l'aide de "chars" (plate-forme à 4 roues, tractées par 6 bœufs) ou "charrettes" (2 roues, 4 bœufs). Le cheval, plus maniable et plus rapide, prend la relève du bœuf. La généralisation du collier d'épaule, en remplacement de la sangle placée à la gorge, soulage les bêtes. Avec l'attelage en file, la force de traction est démultipliée : au Moyen-Âge, les attelages tractent des blocs de 2 tonnes, alors qu'à l'époque antique, ils étaient limités à 500 kg. Enfin, les voies d'accès au chantier sont empierrées pour éviter l'orniérage et l'embourbement par temps de pluie. À Laon, les attelages doivent gravir une dénivelée de 100 m depuis la carrière de Chemizy, située à 17 km. Pour glorifier les bœufs, des sculptures les représentant jaillissent des tours. Le prix du transport est élevé : on considère que le transport sur une vingtaine de kilomètres coûte aussi cher que la matériau lui même. À Troyes, il faut abandonner le calcaire crayeux, trop fragile, et chercher à Tonnerre un matériau plus robuste, malgré le coût du transport, 5 fois plus élevé que le prix de la pierre. Aussi, on réduit les dimensions des pierres à transporter en les travaillant sur place : dalles de sol, pavés, tambours de colonnes et blocs de murs ou carreaux. Leurs dimensions sont normalisées (mesurées en pieds de 0,32484 m). Pour la première fois (et bien avant le Taylorisme), le travail peut être rationalisé pour les éléments répétitifs (tambours de piliers, blocs, pavés). On utilise des gabarits en bois. Robert de Luzarches, à Amiens (vers 1220), applique des méthodes rationnelles de fabrication en série, en plein air,  et, sous abri, pour que le travail se poursuive à la mauvaise saison.   La taille au pied du chantier concerne les chapiteaux, les voussoirs, les arcs de fenêtres, les gâbles. Chaque pierre est taillée sur mesure, pour s'adapter au montage. Là aussi, on utilise des gabarits en bois. Des marques de position facilitent la pose (le plan reporte l'ordre des pierres). Mais la préfabrication n'est pas exempte du risque d'erreur : à Lyon, ND de Fourvière montre 10 chapiteaux droits et 4 gauches, dans l'abside. Les finitions et les décorations sont effectuées à même l'édifice, sur des blocs épannelés. Pour cela, il faut dresser des échafaudages. On distingue deux types d'échafaudages : ceux qui reposent sur le sol, et ceux qui sont suspendus ("volants"), notamment autour des fenêtres pour la pose des vitraux. Les premiers sont ancrés dans les murs à leur partie supérieure, à l'aide de boulins ligaturés par des cordes aux perches. Le gothique limite les ancrages qui laissent une trace dans le mur. L'empreinte est bouchée au mortier et peut être réutilisée pour de nouveaux échafaudages. Le platelage est en claie de branchage ou parfois en peau de bête. Les échafaudages sont réutilisés, parfois trop souvent, et la fatigue des matériaux cause des accidents : Guillaume de Sens se tue à Canterbury, en 1178, et, à Saint-Denis, un accident fait plusieurs morts parmi les moines et des visiteurs, en 1259. La manutention fait appel à des manœuvres ou "hommes de bras", moins bien rémunérés que les artisans. Les pierres sont levées à l'aide de grues rotatives, en bois, ou de chèvres à deux poteaux. On évite le plus possible de transporter des blocs sur les échafaudages. Pour cela, on approche le bloc le plus possible du mur à élever, et on le hisse à l'aide de tours, comme nos grues de chantier, à la différence près, qu'elles sont en bois et fixées au sommet des murs en construction. Ceci explique pourquoi on se contente d'échafaudages assez légers. La construction des tours emprunte à l'art des engins de guerre, tandis que la manutention à l'aide de cordages, de poulies, de palans et de cabestan s'inspire de l'expérience maritime. Le poids des hommes sert à faire tourner les écureuils, comme font les hamsters. Dans un écureuil de 2,5 m de diamètre, un seul homme peut faire monter une charge de 500 kg. Cette technique est connue depuis l'Antiquité, mais le Moyen-Âge en augmente la taille jusqu'à 8 mètres de diamètre. On démonte les engins de levage,  et on les remonte au fur et à mesure de l'avancement du chantier. Les écureuils sont soit au pied de l'ouvrage, soit disposés en hauteur. Beauvais et Châlons-en-Champagne ont toujours conservé des écureuils au dessus des voûtes. Pour fixer les blocs de pierre à lever, on utilise soit des crochets scellés dans la pierre (au plomb), soit un crochet en forme de deux C inversés qui s'écartent en X quand on le lève, les branches basses se bloquant dans une encoche creusée dans le bloc. Les pierres sont scellées au mortier (50 % chaux - 50 % sable). Le sable vient des rivières les plus proches, tandis que la chaux est fabriquée dans des fours spéciaux (raffours) par des chaufourniers. La chaux est conditionnée en tonneau, si elle est vive, en sac de chanvre, si elle est éteinte. Ce sont les mortelliers qui préparent et hissent le mortier destiné aux ouvriers. On rencontre des femmes dans ce type de métier. Normalement, le maître d'ouvrage fournit des gants pour protéger les mains des brûlures. Les piliers sont maintenus à bon écartement, pendant la construction des arcs, à l'aide de tirants en bois, qu'il faut scier une fois que l'édifice est terminé. Des tirants en bois sont demeurés en place à Chapaize (chaînage longitudinal), Coucy et Vézelay (en Bourgogne). Dés Vézelay (1130), le fer entre dans la construction, comme renfort de structure : - tirants entre les chapiteaux pour retenir les arcs, aussi bien des collatéraux que de la nef (Tournai, Carcassonne, Amiens). - ceinturage sur deux ou trois lignes, la première, au niveau des chapiteaux, la seconde, au niveau du triforium et la troisième, au niveau des fenêtres hautes (confondues avec les barbotières des vitraux) ; exemples : Beauvais, Bourges. - et, un peu partout, goujons dissimulés dans la maçonnerie. La Sainte-Chapelle est un exemple d'édifice abondamment renforcé. À Soissons, le bras Sud du transept est renforcé de tirants (1170) et la nef aussi (1200). Ils ont réussi à préserver les voûtes lors des bombardements de la première guerre mondiale. Au fur et à mesure que les voûtes sont élevées, et qu'on utilise les arcs-boutants, les tirants sont abandonnés. À partir de 1500, on n'utilise plus le fer.