Les Théâtres parisiens

Soumis par pierre-yves le mer, 07/04/2010 - 22:39

Partie I

L'origine des théâtres
Le théâtre remonte à l'Antiquité. Les Grecs ont construit des théâtres immenses (10.000 places), en appuyant les gradins sur des collines, et en veillant au cadre qui participait à la scénographie. Exemple : Corinthe, Epidaure, Ephèse, Amman, Petra, Les gradins enveloppent légèrement la scène en demi-cercle, en formant un angle un peu supérieur à 180°. Des petites salles à gradins servent pour la lecture de poèmes (odéon), ou pour les assemblées (boulestérion). Ces salles sont couvertes, contrairement aux théâtres. Les Romains découvrent le théâtre grec en Sicile, vers le Ve siècle av. J.-C.. Ils s’affranchissent de la topographie, en édifiant les gradins sur des arcades. Cela permet une meilleure circulation des spectateurs, à l'entrée et à la sortie, par des rampes et des escaliers. Cela permet également de construire les théâtres en pleine ville. Exemple : théâtre d'Orange. Le mur de scène est plus haut que chez les Grecs, de telle sorte que l'arrière plan est masqué. Il ne présente d'ailleurs plus d'intérêt, compte tenu de la localisation en pleine ville. En raison de cette configuration, l'angle se rétrécit à 180°. 

Eclipse

Au Moyen-Age, le théâtre disparaît en France en raison de son caractère profane. Charlemagne le fait interdire, car on lui reproche de s'intéresser de trop près à la vie du peuple et de concurrencer l'Eglise. De plus, il est hérité de l'Antiquité (Sophocle, ..) et donc du paganisme. Mais si la chrétienté tue le théâtre, elle le fait renaître au XIe siècle (au temps des croisades) sous une nouvelle forme, celle des mystères religieux : les acteurs "administrent" le "ministère" religieux, non pas sous forme de lectures saintes, réellement "mystérieuses" et peu compréhensibles, mais sous une forme plus accessible où l'on "joue" l'histoire sainte. La scène est  le parvis des églises.
La chanson de geste, successeur en pratique du théâtre, s'adresse à une classe privilégiée. Elle se joue à huis clos, devant un parterre de nobles gens. Il n'y a qu'en Italie, où le théâtre populaire survit, grâce aux pantomimes. Les troupes sont itinérantes. On dresse la scène sur des planches. La mode se répand en France au Moyen-Age.

Renaissance italienne
Le théâtre s'est éclipsé en France, au Moyen-Age, mais jamais en Italie. En cela, le théâtre est italien et son architecture s'est maintenue en Italie : la salle à l'italienne s'inspire de l'Odéon romain. Elle est en U, avec un "parterre" horizontal et des balcons. La scène remonte vers le fond de manière à améliorer la visibilité. Les balcons et les loges sont réservés à l'élite, qui s'épie aux jumelles, tandis qu'au parterre, on se bouscule debout. Le théâtre est un lieu de vie, où l'on bavarde, on commente le jeu, on mange, même. L'éclairage vient de multiples bougies, qui restent allumées pendant tout le spectacle (il serait difficile de les éteindre et de les rallumer en présence des spectateurs !). De la bougie à l'incendie, il y a un lien probable ... Le Théâtre de l'Athénée est le premier à profiter de l'électricité, en 1899.
Des dispositions variantes consisteront à avancer le premier balcon, en "corbeille". Un nouveau concept, inspiré du cirque, consiste à relever l'amphithéâtre, toujours pour une raison de visibilité. Il n'y a plus de balcon, mais une seule volée de rangées. Ce type de disposition est appelée "frontale", car les sièges sont tous de front avec la scène.

Les premiers théâtres parisiens : chez les nobles
On doit à François Ier l'installation de la première troupe de théâtre sacré, issue de la tradition des mystères religieux : la Confrérie de la Passion fondée en 1402, joue d'abord dans une salle de l'Hôpital de la Trinité.  Le premier théâtre construit à cet effet exclusif est à l'Hôtel de Bourgogne, en 1548 (à l'emplacement de l'actuel n°23 de la rue Etienne Marcel, anciennement 34, rue Marconseil, dans le Marais). Le théâtre s'intègre discrètement dans les murs de l'hôtel particulier, sans attirer l'attention. Sous Henri IV, la mode est au Jeu de Paume (genre pelote basque). On adaptera les salles (trinquets) en dressant une scène à un bout. Mais il n'y a pas de place pour les décors, ni machinerie.
En 1634, un second théâtre ouvre dans le Marais, au 84, rue Vieille-du-Temple.
Le Siècle des Lumières favorise les grands auteurs, Molière, Corneille, Racine. La troupe de Molière joue à l'Hôtel de Guénégaud, près du Collège des Quatre nations (actuel Institut de France) à partir de 1673. Les théâtres sont toujours réservés à la haute société, qui a le temps de se distraire. Richelieu fait construire, en 1639, un théâtre dans son palais (actuel Palais-Royal, à l'angle de l'actuelle rue de Valois et rue Saint-Honoré). L'architecte est Lemercier. En 1673, Molière meurt sur la scène du théâtre du Palais-Royal, en jouant le malade imaginaire. Cette même année, le théâtre brûle. Il est aussitôt reconstruit, et accueille l'Opéra.
Le Roi Louis XIV dote son Palais des Tuileries d'un grand théâtre en 1661 ; en 1680, il officialise la troupe de Molière, qu'il réunit à la troupe de l'Hôtel de Bourgogne et à celle du Marais, pour former la Comédie française (par opposition à la Comédie italienne).
En 1669, il fonde l'Académie royale de musique (opéra), et accorde à un certain Pierre Perrin, en 1671, le privilège de créer une académie de musique présentant des spectacles d'opéra. Pour cela, celui-ci loue une salle de jeu de paume, car ces salles ont assez vastes pour accueillir des spectateurs : il y a 114 salles en 1657. La salle du jeu de paume de la Bouteille attenante à l'Hôtel Guénégaud (act. 42, rue Mazarine) est utilisée un an seulement de mars 1671 à mars 1672. Elle contient 1200 à 1400 spectateurs (debout), mais étant tout en longueur, elle n'est pas bien adaptée.
L'Opéra connaîtra plusieurs salles :

  • l'Hôtel Guénégaud, en 1671-72 (la troupe de Molière en prend possession de la nouvelle salle reconstruite en 1673) ;
  • le Palais-Royal, de 1673 (reconstruite après un incendie) à 1763 (incendie), et de 1770 (reconstruction) à 1781 (incendie) ;
  • la salle des Machines (Tuileries), de 1763 à 1770, le temps de reconstruire le précédent ;
  • la Porte-Saint-Martin (1781 à 1794) ;
  • salle des Arts, rue de Richelieu (1794-1820, fermée après la tentative d'assassinat du duc de Berry) ; et quelques mois, salle Louvois (6, rue Louvois) ;
  • salle de la rue Le Peletier (1820-1873 : incendie) ;
  • en attendant le Palais Garnier, ....
  • Palais Garnier (depuis 1875), et l'Opéra Bastille. 

La Comédie française va également migrer de salle en salle :

  • de 1680 à 1689,  la Comédie française joue à l'Hôtel Guénégaud (où joue déjà la troupe de Molière depuis 1673) ;
  • de 1689 à 1770, elle joue rue des Fossés Saint-Germain, au n° 14 de l'actuelle rue bien nommée "de l'Ancienne comédie" (emplacement de l'école de  médecine). L'architecte François d'Orbay réalise un théâtre "à l'italienne", où la scène est séparée du public par un rideau de scène. Il s'agit là de la première "opération immobilière" prenant en compte l'édification d'un théâtre, encore que celui-ci est discrètement noyé dans l'édifice et à peine visible de l'extérieur. On verra plus loin, que les théâtres seront à nouveau intégrés à de telles opérations (Odéon, Athénée, par exemple). C'est un aristocrate qui lotit un domaine encore vierge de construction, à la limite de la ville.
  • en 1770, les Français quittent la rive gauche pour les Tuileries.
  • en 1782, ils franchissent à nouveau la Seine, pour le nouvel Odéon (voir plus loin).
  • en 1793, la Révolution disperse la troupe des "Comédiens du Roi", pour recréer la "Comédie française" en 1799. Elle ne retourne pas à l'Odéon, mais se produit rue Richelieu ("rue de la Loi").

L'opéra comique naît au XVIIIe siècle, au cours des foires annuelles de Saint-Germain et Saint-Laurent. En 1762, il s'unit à la Comédie italienne à l'Hôtel de Bourgogne. Cette union va et vient. L'un et l'autre connaissent plusieurs salles toutes situées dans l'actuel 2ème arrondissement :

  • en 1783, la première salle Favart (du nom d'un dramaturge protégé par Marie-Antoinette et époux d’une actrice célèbre), place des Italiens (actuellement place Boïeldieu), accueille la formation commune. Cette salle contient 2000 places. En 1789, les Italiens partent seuls aux Tuileries (voir plus bas) ; la Révolution rebaptise l'opéra comique "national" (1792) ;
  • en 1801, l'opéra de la salle Favart fusionne à nouveau avec le Théâtre italien, qui est maintenant rue Feydeau (n° 19). Cette union dure jusqu'en 1819. Les Italiens vont salle Louvois (1819-25), puis ils retournent à la salle Favart (1825-1838, incendie). L'opéra comique reste jusqu'à la démolition de la salle Feydeau, en 1829, pour laisser place à la rue de la Bourse. L'étonnante rue des Colonnes (d'inspiration égyptienne) est le seul résidu de l'urbanisation de ce quartier au début du XIXe siècle. C'est un chassé-croisé avec les Italiens qui se poursuit :
  • de 1829 à 1832, la Salle Ventadour (transformée en bureaux en 1878) accueille l'opéra comique, puis les Italiens, de 1841 à 1878 (date de leur dissolution).
  • de 1832 à 1840, à la salle de la Bouse (qui sera elle aussi démolie, mais en 1869, pour faire place à une rue) ;
  • la salle Favart a accueilli les Italiens de 1825 à 1838 (incendie de la salle) ; à sa reconstruction (1840), elle est dédiée à l'Opéra comique qui y restera. En 1887, un incendie ravage à nouveau la salle. L'opéra prend ses quartiers au Théâtre lyrique (actuel Théâtre de la Ville) de 1887 à la réouverture en 1898.

     Il ne faut pas confondre l'Opéra comique avec "l'Opéra comique national", fondé en 1847 au cirque olympique (bd du Temple) qui migre au Théâtre lyrique en 1862 (voir plus loin).
Le théâtre des Tuileries (architectes Vigarani, 1664-70, puis Gabriel et Soufflot, 1673) est le plus grand théâtre parisien et pour longtemps : il peut contenir 7000 spectateurs (!), sous des coupoles dignes d'une cathédrales à colonnes. On le surnomme "la salle des machines", car, pour la première fois, la scène est surmontée de machines à cordes capables de soulever les décors de toiles peintes, qui suspendus à des cintres, comme les voiles des navires, tendues par des mâts. Ce sont d'ailleurs d'anciens marins qui manœuvrent les cabestans sur le pont (le gril). L'expression "Côté cour et côté jardin" pour définir les côtés de la scène naît dans cette salle : en regardant la scène, le spectateur avait le jardin à main gauche et la cour à main droite, d'où côté jardin à gauche et côté cour à droite. L'Opéra, académie royale de musique, y joue de 1763 (incendie de la salle Richelieu) à 1770. La troupe des Français (la Comédie française) lui succède de 1770 à 1782. En 1789, ce sont les Italiens qui y jouent. En 1792, la Convention en prend possession. En 1808, les architectes du Louvre, Percier et Fontaine refont la salle. La Commune aura raison de ce théâtre, détruit avec le Palais des Tuileries (1871).
En 1755, le château de Boulainvilliers, à Passy, se dote d'un théâtre, le Théâtre du Ranelagh, qui a survécu de nos jours, après reconstruction par un industriel en 1890-7 (architecte Chambon).
Dimensions du Théâtre du Ranelagh : du fait de la forme du terrain disponible, la salle est très en longueur, avec 8 m seulement de large pour une profondeur de 18 m (elle est mieux adaptée au cinéma, ce qui explique une reconversion temporaire en 1930) ; il y a 2 rangées de galeries latérales, inspirées des salles de Jeu de Paume (leurs survivantes sont les trinquets, ou salles de pelote basque). Sa capacité est limitée à 340 places. La cage de scène est de dimension normale : 11 m de large, 11 m de profondeur, et 9 m de hauteur (sous gril).

Les théâtres de forains
En 1759, les forains sont autorisés à établir des théâtres permanents à Paris. Ils investissent le boulevard du Temple, à la périphérie de Paris, à l'emplacement des fortifications de Philippe Auguste, qui viennent d'être rasées. On surnomme ce boulevard, "boulevard du crime", en raison des crimes qui se multiplient sur scène.