Les Théâtres parisiens III

Soumis par pierre-yves le mer, 07/04/2010 - 22:41

Comment le décret de contrôle est contourné

Le décret qui limite les Théâtres de Paris incite à sortir des murs, à plus de 60 toises.
Dans la plaine de Grenelle, au 55, rue de la Croix-Nivert (15ème arrondissement), un théâtre est inauguré en 1822, le théâtre de Grenelle. La mode du cinéma en aura raison.
M. Seveste ayant apporté au roi Louis XVIII la preuve de la mort de Louis XVII, le roi le récompense en l'autorisant à construire un théâtre, mais en dehors des murs. Ainsi, le Théâtre de l'Atelier, primitivement appelé Théâtre de Montmartre (place Charles Dullin, 18ème arrondissement) est créé de toutes pièces, en 1822, sur un terrain vierge, ce qui lui vaut sa forme simple (rectangulaire) et son aménagement également simple et fluide. Son architecte (Haudebourg) structure le quartier autour, comme dans les projets de lotissements princiers (Odéon, par exemple). Du fait de la pente du terrain, au pied de la colline de Montmartre, le théâtre est orienté parallèlement aux boulevards (suivant les lignes de niveau). Il est dirigé par Sarah Bernhardt de 1907 à 1914 (éclipse dédiée au cinéma de 1914 à 1922).
Dimensions du Théâtre de l'Atelier : la salle mesure 12 m de large, 14 m de profondeur. Elle a 2 balcons, un poulailler et une jauge de 566 places. La scène fait 13 m de large, 11 m de profondeur, et 10 m de hauteur (sous gril).
Sur le boulevard Bonne-Nouvelle (qui tire son nom de l'église Notre-Dame de Bonne-Nouvelle), un théâtre est construit, en 1820, sur un terrain privé (baron Louis) et sur le cimetière paroissial : le Gymnase (au n°38). Architectes : Auguste Rougevin et Louis de Régnier de Guerchy. A l'origine, il est dédié aux comédiens débutants du Conservatoire tout proche. Il prend le nom "Gymnase dramatique" en 1830. Il a survécu jusqu'à nos jours (Gymnase-Marie-Bell).
En dehors de Paris, en 1832, naît le théâtre des Batignolles (renommé Hébertot en 1940). Il est un peu isolé aujourd'hui (78bis bd des Batignolles 17ème arr.).
Dès 1858, le "café chantant" (qu'on appellerait "music-hall" aujourd'hui) est à la mode : l'Eldorado est  construit au 4, bd de Strasbourg (10ème arr.) par Charles Duval (il construira le théâtre du Bataclan). Démoli en 1932, il est reconstruit pour le cinéma en 1933, et réutilisé par le théâtre en 1971.
A l'angle Nord-Est de Paris, le boulevard du Temple concentre plusieurs théâtres côte à côte ... pour une existence éphémère :
- au n° 86, le Théâtre historique (créé par le bouillonnant Alexandre Dumas en 1847, fermé en 1851, et rouvert la même année sous le nom de Théâtre Lyrique), 
- au n° 80, le Cirque olympique (1827),
- au n° 74, les Folies dramatiques (construction 1829-31),
- au n° 68, la Gaieté (construit en 1806 à l'emplacement du premier théâtre du secteur, le théâtre Nicolet, incendié en 1835 et reconstruit la même année),
- au n° 62, le théâtre des Funambules (construit en 1811-13)
- au n° 60, les Délassements comiques (1816),
- au n° 58, le Lazari.
Non loin, on trouve le Panorama dramatique (1821, faillite en 1823, détruit en 1834).

 

Halte aux théâtres populaires
Comme son oncle, Napoléon III fera tout pour brider les théâtres, qu'il juge trop licencieux ou hostiles à son gouvernement.
En 1859, le baron Haussmann assène le coup de grâce aux théâtres du "boulevard du crime", en décidant d'ouvrir, à leur emplacement, la place du Château d'eau (actuelle place de la République) et le boulevard de Prince-Eugène (actuel bd Voltaire). Tous les théâtres du côté nord du boulevard du Temple sont démolis en 1862. Le Cirque olympique, qui a été judicieusement renommé "impérial" en l'honneur de Napoléon III, est reconstruit place du Châtelet, ainsi que le Lyrique. Le théâtre de la Gaîté lyrique est reconstruit de 1861 à 1862 (arch. Cusin), en face du Conservatoire des Arts et Métiers, au 3bis rue Papin, 3ème arrondissement (aujourd'hui, salle fermée). Elle se dédie à l'opérette, mise à la mode par Offenbach. Celui-ci dirige cette salle dès 1862, et s'y produit en alternance avec les Variétés. Pendant quelques années, cette salle concurrence même les deux Opéra (Garnier et Opéra Favart), et se baptise "Opéra lyrique national" (1876-78), puis "Opéra populaire" (1877-80). Enfin, les Folies dramatiques sont reconstruites en 1863 au 40, rue René-Boulanger, mais fermées en 1899 et transformées en cinéma en 1915.
Un seul théâtre, placé sur le côté sud du boulevard du Temple, survit, le théâtre des Folies Nouvelles (nom qu'il conserve jusqu'en 1870), actuel Théâtre Déjazet (41, bd du Temple, 3ème arrondissement). Il faut dire que ce dernier a été construit récemment, en 1854, pour une actrice célèbre, madame Virginie Déjazet (architecte Renoux), à l'emplacement de la salle du Jeu de Paume du duc d'Artois (architecte Bélanger, 1770). Cette salle, de forme allongée, a pu s'adapter sans difficulté à une salle de spectacle. Au XXe siècle, la salle accueille un cinéma (1939), avant de rejoindre la comédie (1977).
Dimensions du Théâtre Déjazet : la salle a 13 m de large, 18 m de profondeur, 2 rangées de galeries latérales (comme le théâtre du Ranelagh), une capacité de 500 places. La scène fait 10 m de large, 9 m de profondeur, et 10 m de hauteur (sous gril).
Le Cirque d'Hiver, dessiné par Hittorff, s'implante en 1859 en retrait par rapport au boulevard du Temple (110, rue Amelot, 10ème arrondissement). Il est transformé en cinéma en 1907 (jusqu'en 1918), puis accueille la troupe de Firmin Gémier, jusqu'en 1923 et est à nouveau utilisé pour le cirque.
Dimensions du Cirque d'Hiver : la salle est ronde, de 30 m de diamètre. sa capacité est de 1.600 places. La scène est aussi circulaire, au centre de la salle, avec un diamètre de 12,6 m.
La mort des théâtres du boulevard du Temple est compensée par une création sous l'égide de la puissance publique, en 1862. Face à face, deux théâtres sont construits sur la place du Châtelet, au pied du boulevard Sébastopol. C'est toute une opération urbanistique qui est lancée : l'ancienne prison de triste mémoire a été rasée en 1802, la fontaine égyptienne datant de cette époque est agrandie. Aujourd'hui, ces deux salles symbolisent deux siècles de débats sur l'architecture intérieure : le Théâtre de la Ville (anciennement Théâtre lyrique, construit en 1862, par Davioud, mais entièrement refait en 1968, par Fabre et Perrottet, et renommé Théâtre Municipal Populaire) dispose d'un amphithéâtre unique et relevé de 1012 places, comme au théâtre du rond-point des Champs-Elysées. Le théâtre du Châtelet (ancien "théâtre impérial du Châtelet", en remplacement du Cirque impérial, et également construit en 1862 par Davioud) est "à l'italienne". Avec 2.500 places, c'est le plus grand théâtre parisien de son temps. Mais certaines places n'ont qu'une visibilité réduite à cause des piliers supportant la corbeille ! Le style est lourd, surchargé de trompe-l’œil. La scène est favorable au lyrique grâce à une vaste arrière scène (pour stocker les décors) et un dessous de scène à 3 niveaux. sa qualité acoustique est remarquable et il est équipé d'un système de chauffage et de ventilation novateur. Il attire les foules venues applaudir les féeries et les drames militaires. Gabriel Astruc, impresario et éditeur de musique, introduit en 1906 le lyrique, et en 1909, les ballets russes. Le Châtelet se spécialise dans l'opérette sous la direction artistique de Maurice Lehmann en 1929 (Tino Rossi et Luis Mariano s'y produisent).
Dimensions du Théâtre de la Ville : la salle mesure 25 m de large, 28 m de profondeur. Elle a 1 balcon et une jauge de  places. La scène fait 24 m de large, 14 m de profondeur, et 20 m de hauteur (sous gril).
Dimensions du Théâtre du Châtelet : la salle mesure 19 m de large, 21 m de profondeur. Elle a 1 corbeille, 3 balcons dont un poulailler et une jauge de 2300 places. La scène fait 19 m de large, 17,5 m de profondeur, et 20 m de hauteur (sous gril).
Le milieu du XIXe siècle est une ère de prospérité industrielle, affirmée par les grandes Expositions Universelles. C'est aussi l'époque de l'expansion de la capitale vers la périphérie. Les Champs-Elysées sont aménagés pour les plaisirs bourgeois : la mode est aux "panoramas", salles de forme circulaires, qui permettent d'étaler sur le mur intérieur des peintures panoramiques. Cette mode est née en Angleterre au XVIIIe siècle. Le Panorama des Champs-Elysées (alors nommé le Palais de glace) est créé en 1860 par Davioud, à l'emplacement de la rotonde de l'architecte Hittorff, montée en 1839 et modifiée pour l'Exposition universelle de 1855. La compagnie Renaud-Barrault s'y installe en 1980, délaissant sa salle ronde et provisoire de la gare d'Orsay. La salle est refaite en 1995, par Wilmotte et Guillaumot. Un amphithéâtre unique fait front à la scène.
Dimensions du Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées : la salle s'inscrit dans un cercle de 25 m de diamètre (plus petit que le Cirque d'hiver). Elle contient 753 places. La scène, semi-circulaire, fait 25 m de large et 13 m de profondeur.
De même, le Théâtre Marigny (reconstruit en 1925) est l'héritier tout rond du Panorama Marigny, datant de 1881 (et d'une salle plus ancienne de 1848).
Toujours sur les Champs-Elysées, le Café-concert des Champs-Elysées, ouvert en 1830, est reconstruit par Hittorff en 1848. Il est démoli en 1929 et reconstruit. Aujourd'hui, c'est l'Espace Pierre Cardin (restaurant, théâtre, salle d'exposition).
Le baron Haussmann redéfinit un nouveau quartier autour d'un nouvel édifice : l'Opéra, connu du nom de son architecte Charles Garnier. Des avenues rayonnent autour de l'édifice, et notamment l'avenue de l'Opéra qui entaille un quartier moyenâgeux. La construction a été décidée par Napoléon III en 1860, pour remplacer la salle de Le Peletier, jugée trop petite, et d'accès trop difficile, particularité qu'exploita un certain Orsini qui tenta d'assassiner l'empereur en 1858. L'architecte et l'empereur voient grand. Tout est colossal : une rampe permet l'accès des calèches. Un escalier de parade en marbre sublime l'élite bourgeoise, du commerce et de l'industrie triomphante. On se retrouve au foyer, sous les plafonds allégoriques et les mosaïques inspirées de la cathédrale de Ravenne. La salle de spectacle est d'or et de velours rouge (pour mettre en valeur les toilettes des dames). Mais la construction s'éternise : on rencontre des difficultés techniques (résurgence d'eau) et financières (après la chute de Napoléon III et les événements de 1870). Le Palais Garnier est sauvé par l'incendie de l'Opéra de la rue Le Peletier, le 28/10/1873. On met les bouchées doubles pour achever l'ouvrage (début 1875). En attendant, l'Opéra est  transféré provisoirement à la salle Ventadour (qui est démolie en 1875).
Non loin, l'Opéra comique (salle Favart) est également victime d'incendies (1838, 1887). Il est reconstruit après chaque incendie. Le second théâtre est de Carpentier, le troisième de Louis Bernier.
Dimensions de l'Opéra comique : la salle a 16 m de large, 18 m de profondeur, 2 rangées de balcons, une corbeille (balcon très avancé) et un poulailler, une capacité de 1.500 places. La scène fait 16 m de large, 14 m de profondeur, et 22 m de hauteur. Il y a une fosse d'orchestre "wagnérienne" de 70 m².