Discours de Pierre-Yves Landouer au baptême de la vedette Arthy, Port de Bayonne, 19 novembre 1988

Soumis par pierre-yves le mer, 10/06/2020 - 20:02

Discours de Pierre-Yves Landouer, ingénieur des ponts-et-chaussées, chef du service maritime des Pyrénées Atlantique au baptême de la vedette Arthy

Le 19 novembre 1988

Ce 19 novembre est un grand jour pour la station de pilotage de l'Adour car à la fois l'une des trois vedettes prend sa retraite l’Ur-Muga (1) et une autre l'Arthy (2) que l'on vient de baptiser prend la relève.

L’Ur-Muga était la vedette de gros temps. Elle a été construite en 1973 à Langoiran (Gironde). En 15 ans de service, elle a effectué environ 4000 sorties soit 15 % des opérations mais ce ne sont précisément c'est 15 % d'intervention qui assurent au port de Bayonne une qualité de service correcte compte tenu de sa situation exposée au plus fortes houles de France (3).

Je ne vaux ferais pas un exposé sur les manœuvres n'étant pas compétent en la matière mais je crois qu'il est intéressant de se rappeler l'histoire de la barre qui est au cœur du problème et fait du port de Bayonne, même de nos jours, un des plus délicats. A cette barre est liée l'histoire du pilotage et celle du port de Bayonne.

Déjà du temps des Romains, Bayonne qui s'appelait Lapurdum, était un port qui exportait du minerai de fer et de cuivre des Aldudes, du vin du Pays basque et du bois des Pyrénées (4).

L'Adour se jetait dans l'océan par plusieurs bras du Boucau parfois dévié par des crues subites et refermés par les fortes tempêtes. Son embouchure fait l'objet d'une lutte incessante entre les éléments devant lesquels l'homme resta longtemps impuissant. Au 13e siècle, elle est est au lieu-dit La Pointe, situé au sud de Capbreton où l’Adour avait formé le fameux Gouf il y a 80000 ans (5).

Lors d'une violente tempête, vers 1310 (6), cette embaucheur se referma et le fleuve remonta jusqu'à Vieux-Boucau, à 30 km au nord de Bayonne. Dès le 15e siècle, la municipalité de Bayonne se plaignit au roi que son port et son économie étaient menacés par les caprices de l'embouchure et réclama à des mesures urgentes, sans lesquels, disait-elle, la population serait contrainte de quitter Bayonne. Déjà les corsaires et les pêcheurs hauturier de morue se retiraient pour s'établir à Saint-Jean-de-Luz où la rade est mieux abritée. Cette ville dépassait en population Bayonne dont le seul atout, sa situation sur l'Adour, où arrivaient les gabares, serait bientôt vain. Après plusieurs études et projets, le roi manda l'horloger ingénieur (7) Louis de Foix. Les travaux gigantesques qu'il entreprit permis en 1578 de ramener le fleuve à son emplacement actuel en fermant le passage du Boucau. Ces travaux faillirent mal tourner car le 28 octobre 1578, une crue violente de l'Adour inonda la ville jusqu'au premier étage des habitations avant que la dune de sable ne s’ébranla pour laisser s'évacuer les eaux en furie dans le chenal nouvellement creusé. Le tirant d'eau à marée basse atteignait 8 pieds soit 2,60 m. À partir de ce moment, le port de Bayonne pouvait renaître et prendre de l'essor.

En fait, la lutte avec l'embouchure ne faisait que repartir car l'Adour contenu sur le Nord (8) ne cessa de divaguer vers le sud, vers la chambre d'Amour. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que son cours soit définitivement stabilisé, les 100 sur la rive gauche, à titre de reliques, les deux petits lacs de Chiberta, appelés lacs du Boucau (9). Mais cette embouchure fixée reste le théâtre d'une agitation hydraulique et sédimentologique qui fait évoluer malicieusement son tirant d'eau, et nous cause encore bien des soucis. L'ingénieur hydrographe de la marine, Bousquet de la Grye décrivait parfaitement, en 1873, le phénomène de la barre :

«  le fleuve, dont les divagations sont aujourd'hui maintenu par des digues à claire-voie, se jette à la mer dans une direction opposée à celle des vents régnant, d'où une lutte continue, qui amène en un même point, en dehors de l'entrée, le dépôt des plus gros matériaux que peuvent remuer les lames et le courant.

La mer, lorsqu'elle est grosse, la brise constamment sur ce bourrelet, qu'elle redresse et tenta reporté vers la côte, tandis que les efforts du fleuve le et l'éloigne du rivage.

Sous ses influences contraires est constamment variable, la barre change continuellement d'aspect ; après des crus, sa hauteur peut descendre à 3,50 m au-dessous du niveau des basse mer, comme elle remonte quelquefois à 1 mètres après des vents prolonger du large.»

On comprend aisément que les les pilotes du port étaient d'un conseil très précieux pour les mouvements d'entrée et de sortie des navires, non seulement pour passer la barre mais aussi pour remonter la rivière jusqu'au port, leur « expérience, continue de la Grye, les mettant à même de connaître mieux que personne ce qu'il y a à faire dans des circonstances difficiles.»

On glane beaucoup d'enseignement à leur sujet dans les multiples règlements qui organisaient le service et stipulaient les punitions en cas de faute. Dans les mémoires rédigées par des envoyés du Roi et par la ville, pour faire le point de la situation et rechercher des améliorations et dans les anecdotes et les rapports d'incidents qui opposaient parfois les pilotes entre eux ou aux Capitaines de navires. Les pilotes les plus anciens étaient appelés pilotes lamaneurs (en hollandais : lootsman) ou locmans (du romain loci manes). Ils menaient les navires, jusqu'au mouillage, d’où le nom actuel des lamaneurs chargés de cette opération.

Au Moyen Age, ils étaient établis à Bayonne. Ils prenaient les navires a 1'abri de la barre, c'est-a-dire sur le fleuve, à La Pointe d'abord. Puis de 1310 a 1575, à CAPBRETON et après 1578 au BOUCAU. Ils les menaient jusqu'au centre de BAYONNE et mouillaient au pont de Mousserolles, en passant à travers le pont levis du pont Saint-Esprit ou près du pont Mayou (pour les denrées), et plus tard place Gramont, près de l’hôtel de ville (actuellement place de la Liberté), ou quai de Lesseps (1712) ou aux allées Marines (1727).

Comme il n’y avait pas de quai ni d'appontement les cargaisons étaient transbordées à bord de galupes et de tilloles.

Des textes du 14è siècle, attestent que le locman devait prêter serment devant le Conseil de la ville de BAYONNE et "toute personne qui serai assez audacieuse pour faire entrer et sortir les navires sans commission et charge expresse dudit Maire et Conseil encourait une peine d’emprisonnement. d'amende et de perte du navire qui serait brûlé dans la ville".

Par ce règlement sévère la ville voulait prévenir tout pilote de la trahir et de mener l'ennemi à ses portes. L'incident de 1294 restait dans les mémoires quand les anglais envahirent la ville en débarquant a Biarritz (10).

Le locman est recruté par les pilotes après un concours pratique et a condition d'avoir acquis une certaine expérience de la navigation fluviale. Aussi, la plupart étaient-ils choisis parmi les galupiers ou les tilloliers dont beaucoup étaient fils de pilotes. Les Pilotes pouvaient ainsi se porter garants "de (leurs) bonnet mœurs, de (leur) capacité et expérience du fait de lamanage" (nomination d'Arnaud Bourgeois en 1753).

On cite au 18eme siècle une véritable dynastie de Pilotes dans la famille Sallenave qui produisit pas moins de douze pilotes.

Après 1575. une seconde corporation de pilotes fut instituée par la ville : les Pilotes de la Barre ou les Pilotes du BOUCAU dont le rôle consistait à amener les navires à travers la Barre jusqu'à la rade de BOUCAU, plus exactement jusqu'au rocher des Casquets, à l'aval du banc Saint-Bernard où se trouve actuellement l'appontement Saint-Gobain. Là ils passaient la main aux pilotes de rivière (11) Ici je vous propose de s'attarder un peu sur les règlements. Bien que leur lecture soit un peu austère, elle nous renseigne sur l’organisation de cette corporation et sur son importance. Le premier règlement général sur les Pilotes remonte au mois d’août 1681. Il a été établi par Colbert dons on connaît le rôle de défenseur de la Marine et du Commerce.

Ce règlement décrit notamment les punitions en cas de faute "Les Lamaneurs qui, par ignorance, auront fait échoir un bâtiment, seront condamnés au fouet et et privés pour jamais du pilotage ; et à l’égard de celui qui aura malicieusement jeté in navire sur un banc ou rocher, ou a la côte. il sera puni du dernier supplice (la pendaison. et son corps attaché à un mât planté près du lieu du naufrage.

Heureusement, ce supplice ne fut jamais exécuté. Malgré tout l’accès dangereux du port provoqua, bon ou mal an, un ou deux naufrages, parfois avec des disparus. Chaque accident donne lieu à une enquête et le naufrage du JUNON, en 1753, valut au Pilote Major Dominique Sallenave d’être destitué. Les pilotes firent pression. en vain. sur les autorités pour qu'il soit blanchi compte tenu de sa grande compétence.

Les incident se produisent aussi dans 1'ADOUR. En 1770. un navire dérive sur son ancre et est drossé sur le pont SAINT-ESPRIT. Neuf des Trente-six arches de bois sort emportées. En 1791, un navire rompt ses amarres à cause de la crue et détruit dix neuf arches du port (12).

Le premier règlement local connu a été établi par la Ville en 1694 en complément de l’ordonnance royale de 1681. Il prescrivait aux Pilotes de la Barre de résider au Boucau pour être plus proches du lieu d’intervention et porter secours aux navires échoués ou en perdition.

En 1732. les Pilotes aménagent donc le "havre" du BOUCAU où ils amarraient leurs chaloupes depuis 1690 et où sont toujours amarrées les trois pilotines (13). Le règlement de 1722 rend le pilote obligatoire à la descente et introduit des tarifs variables indexés sur la taille des bâtiments. alors qu’auparavant le tarif était forfaitaire en fonction seulement du nombre de chaloupes et de marins utilisés.Le règlement est encore modifié en 1727 et en 1738 avec l’indexation des tarifs sur la jauge et l'introduction explicite réclamée par les usagers et par la jeune Chambre de Commerce (14) d'un Pilote Major qui fasse autorité sur les douze pilotes lamaneurs (15). Ce Pilote major choisi parmi les plus anciens et les plus expérimentés des pilotes devait organiser le tour do rôle, diriger les manœuvres depuis la terre et affecter pour cela le nombre de chaloupes (16) nécessaires au remorquage, toutes devisions qui soulevaient parfois des discussions (17).

Toujours d’après le règlement de 1738, le Pilote Major devait recueillir tous les éléments indispensables a 1'exercice du pilotage : suivi des bancs de sable qu'il devait reporter sur des registres, des profondeurs qu'il devait sonder chaque jour le si le temps le permettait, des chenaux qu' il devait baliser depuis la terre, des feux qu’il devait entretenir pour éviter les naufrages la nuit. bien que les mouvements d'entrée et de sortie étaient interdits. Aussi en 1739 un feu est allumé sur une tour au plateau de l'Atalaye à BIARRITZ du 1er Octobre au 1er Avril. Pour le balisage une tour est élevée en 1730, sur la rive gauche près des jetées construites vers 1694 par l'ingénieur De Ferry. Elle porte dès 1745 un mât où est hissé le pavillon d'entrée lorsque l'accès est possible. Cette tour est devenue la Capitainerie. Elle est remplacée en 1860 par la tour des signaux, à l'aval, dotée de signaux de direction et de calaison et plus récemment des feux d’autorisation et d'interdiction de mouvement. L’électrification des feux remonte à 1927.

Les Pilotes y ont gardé leurs bureaux qui jouissent d'une vue dominante sur l'entrée du Port. Malgré cette organisation, le franchissement de la Barre demeurait une épreuve difficile et hasardeuse, que décrit un mémoire du 15ème siècle : "La Barre qui était autrefois assez profonde pour qu'à toutes les marées les vaisseaux de 100 à 400 tonneaux puissent se présenter sans risque.n’est praticable actuellement qu'en temps d'équinoxe et seulement pour des vaisseaux de 80 à 200 tonneaux seulement".

"Encore, ajoute-t-il, faut-il que la mer soit belle, les vents favorables et utiliser les chaloupes pour les remorquer. Hors, il arrive parfois que celles-ci ne puissent passer a cause des brisants."

"La passe est extrêmement étroite et environnée de petits bancs qui se déplacent selon les vents".

"La profondeur n’est que de neuf pieds (3 m) à pleine mer".

"Dans ces conditions les vaisseaux qui se présentent pour rentrer, lorsqu'ils sent près de fa Barre risquent de toucher et de s'échouer, en cas de mauvaise mer, des équipages doivent les abandonner, ce qui arrive fréquemment…"

"On entrevoit les conséquences fâcheuses de cette situation, d’abord pour les armements de la pêche à la baleine et à la morue, les grands bateaux ne pouvant plus prendre leur chargement ni faire retour dans le Port."

"Tout le commerce sera bientôt transféré à BILBAO, SAINT-SEBASTIEN et autres ports d’Espagne, les habitants seront contraints d'aller s'y établir, le Roi sera privé des revenus qu'il tire des droits de douane, d'où la ruine totale du pays".

Dans un autre mémoire on attire l'attention sur la situation défavorable dans laquelle se trouve Bayonne à l'égard d'autres ports : "si un armement fait BORDEAUX ou N ANTES donne 20 % du profit, à cargaison égale celui fait à BAYONNE sort a peu pros au pair…"

On suggère de prolonger les vieilles digues. de part et d'autre pour augmenter l’effet de Canalisation, et donc la profondeur, et si par hasard certains vaisseaux venaient à toucher le fond en entrant ou en sortant, ils trouveraient à la tête des digues des secours pour se mettre à flot. Les travaux sont repris de 1724 à 1740 à nouveau en 1775 se poursuivent jusqu'au 19è siècle (1810-1819), d'abord sons la responsabilité du Génie, Direction des Fortifications, ensuite après 1808, sous L’égide des Points et Chaussées.

À partir de 1784 (règlement général du 10 mars 1784) et jusqu'à la Révolution, les pilotes sont nommés par l'Amirauté, ancêtre des affaires maritimes, et non plus par la ville qui était accusée "d'admettre des jeunes gens sans expérience, uniquement pour les soustraire au service des vaisseaux du roi " (l'Amirauté surveillait depuis longtemps, depuis 1681 pratiquement, les nominations et le travail des pilotes).

Il y a deux siècles, la Révolution passe par les ports : Elle supprime les Amirautés (13 août 1791) et les 10 chambres de commerce que Louis XIV avait institués en 1701, elle vote une loi sur le pilotage le 15 août 1792. Vous noterez au passage qu’en ce temps là le 15 août n'était plus férié. Cette loi supprime la tutelle de l'Amirauté et instaure une tutelle étendue avec les affaires maritimes, les douanes, les Ponts et Chaussées.

Napoléon remet les chambres de commerce en place, et décrète le 12 décembre 1806, depuis Potsdam où il fait campagne, la création des commissions commerciales au tribunal de commerce, ancêtres de nos assemblées commerciales, chargées depuis lors de donner un avis sur les effectifs et les tarifs de pilotage.

À Bayonne, cette commission élabore un nouveau règlement intérieur du pilotage qui est approuvé par le ministre de la marine et des colonies le 31 août 1830. Ce règlement faisait obligation de pilotage pour les navires au-dessus de 20 tonneaux ce qui d'ailleurs était contestée par la chambre de commerce qui voulait favoriser les petits caboteurs jusqu'à 80 tonneaux.

Le règlement fixait les effectifs à douze pilotes pour le Boucau, plus un pilote majeur et 3 pilotes aspirants. Chaque pilote devait armer une chaloupe, éventuellement le gréement. Rien n'était mis en commun entre les pilotes comme c'est le cas actuellement.

Le rôle du pilotage restait très étendu avec l'obligation des sondages, du suivi des bancs de sable, du maintien et du positionnement des balises en accord avec la direction du port, également du secours aux navires en difficulté.

Quant au pilote de l'Adour, ils étaient au nombre de 12 également et regroupés en syndic.

Ce règlement institue de règles particulières qui seront abandonnés plus tard :

- la concurrence entre pilote qui permettait au premier pilote de proposer ses services à un navire d'être pris pour la manœuvre,

- et la préférence accordé aux enfants de pilote pour le recrutement.

La règle de la concurrence permettait à certains pilotes de travailler 2 fois plus que d'autres. Les ententes sous forme de tour dérobé étaient proscrites et même punies. La concurrence s'étendait également aux stations voisines de Biarritz et de Saint-Jean-de-Luz, où des pilotes courageux n'hésitaient pas à affronter la houle lorsque les chaloupes de Bayonne ne pouvaient pas sortir.

La seconde règles de la préférence familiale a été appliquée jusqu'à l'entre-deux-guerres.

En ce début du 19e siècle, aussitôt après les guerres napoléoniennes et le blocus (vers 1815) le trafic reprend. Et la fermeture du port en hiver, à cause de la barre de sable nuit considérablement à la réputation du port. En 1836, 47 bateaux restent bloqués plus de 50 jours pas tellement à cause de la mer au large, mais à cause du vent contraire, et de l'agitation due à la barre. Les capitaines piégés signent une pétition qui sera entendue par la chambre de commerce, et par la chambre des députés, à Paris, qui promulgue une loi, le 21 juin 1838, autorisant la chambre de commerce à armer un remorqueur à vapeur pour rentrer et sortir les navires.

Ainsi arrive le 1er avril 1841, le remorqueur Adour, de 120 chevaux,qui désormais va concurrencer les chaloupes des pilotes. Il fut construit à Rochefort et coûta 250000 francs.

Le 19e siècle est riche en débat sur l'incapacité, d'après les pilotes, du remorqueur à tenir la mer, l'insuffisance de leur salaire pour entretenir des équipages, l'insuffisance de sondages et de mises à jour des balises, d'après la chambre de commerce, l'impuissance des chaloupes à remorquer les navires et l'inutilité du pilote sans remorqueur, etc.

Tout cela a mené une rapide évolution du pilotage :

- les effectifs vont rapidement décroître passant de 25 pilotes pour les deux stations en 1840, à 22 en 1845, 13 pilotes dont 3 aspirants pilote en 1858, 9 pilotes et un aspirant en 1890 ( avec désormais un tour de rôle d'intervention), 10 pilotes sous les ordres d'un chef de pilotage en 1934, lorsque les deux stations de la barre et de l'Adour fusionnèrent et devint un syndicat des pilotes de l'Adour respectant la nouvelle réglementation générale du 28 mai 1928. Aujourd'hui l'effectif autorisé est de 5.

- les marins voient aussi leurs effectifs s'amenuiser, passant de 150 vers 1840 à une dizaine en 1930. Aujourd'hui ils sont au nombre de 6.

- des 24 chaloupes armées en 1840, il n'en restait que 4 pour les pilotes de la barre en 1890, et aucune pour les pilotes de l'Adour; ces 4 chaloupes étaient désormais mises en commun et non plus entretenues individuellement par chaque pilote.

Au début de ce siècle, les pilotes font construire le premier bateau à vapeur, la Marie-Louise, qui sert au sondage et au remorquage des chaloupes.

La flotte des pilotes dont ils sont propriétaires et armateurs par statut va continuellement s'adapter aux besoins du trafic, afin de faciliter les manœuvres, et éviter au navire les attentes. En 1934, le nouveau syndicat des pilotes fait construire la Marie-Rose, qui sera complétée par la Marie-Louise II. Le renouvellement tous les 15 ans nécessite d'autres vedettes : le Patrick en 1950, l'Arthy en 1963, l'Ur-Gaina ("sur l'eau, insubmersible") en 1968, l'Ur-Muga en 1973, Lison via (marsouin) en 1981 l’Yzokina ("saumon") en 1983, le deuxième Arthy cette année et une autre Izurdia bientôt.

Depuis 1840, à nos jours, il semble que l'histoire s'accélère, le port son embouchure, son infrastructure, son outillage et son trafic en suivi la même évolution rapide que le pilotage.

Quelle fut l'évolution de la barre ? 

Vers 1840, le tirant d'eau maximum fluctue aux alentours de 4 à 5 m. En 1893, une expérience de dragage est entreprise à l'initiative de la chambre de commerce et d'industrie et est suffisamment concluante pour qu'en 1896 une drague soit armée qui entretiendra régulièrement la barre jusqu'à récemment. Le tirant d'eau déclaré en 1905 est de 6,50 m. On sait aujourd'hui que grâce à la grande jetée construite en 1965 (18) et au dragage d'entretien, il fluctue entre 8 m et 9 m 30.

Comment évolue le trafic dans le même temps ?

De 80.000 tonnes en 1845, il passe à 136.000 tonnes en 1875, 524.000 tonnes en 1890, avec la création des Forges de Tarnos en 1882, 700.000 tonnes au moins à partir de 1894 et une pointe à plus de 1 million de tonnes en 1913.

Les années 50 avec l'arrivée du souffre de Lacq, des usines d'engrais en remplacement des Forges et ensuite du pétrole, font exploser le trafic qui se maintient à 3,5 MT aujourd'hui.

Pourtant le nombre de navires et de mouvements évolue peu à peu car ce sont les navires qui ont considérablement grandi :

- en 1740, 950 mouvements d'entrée ou de sortie (autant qu'au Havre à cette époque !);

- en 1840, 1400 mouvements (essentiellement des voiliers),

- en 1904, 1400 mouvements (essentiellement des vapeurs),

- en 1987, 1750 mouvements.

Pour traiter tout ce trafic, le port se dote d'équipements de plus en plus modernes : 

- en 1887, sont montées les premières grues à vapeur de 1,5 tonnes de puissance.

- en 1906, est inauguré le premier quai droit, aux allées Marines, muni d'une grue de 30 tonnes et d'une souille de 7 m de profondeur, il reçoit des navires de 10000 tonnes environ et ce jusqu'à maintenant, où l'on construit un nouveau quai de 160 m qui sera équipé de grues électriques de 10 tonnes à 30 m de portée soit 300 tonnes de puissance et d'une souille à 10 m 50. Il recevra des navires de 27000 tonnes de déplacement maximum.

 

Toutes ces améliorations préfigurent le nouvel essor du trafic et comme l'histoire continue, de nouveaux projets ambitieux sont à l'étude. La prochaine frontière se situe encore à l'embouchure, où pour accueillir de plus grand bateau, avec moins de difficultés, il faudra se forcer de juguler la houle, les courants et le banc de sable (19). On peut se féliciter que toute la communauté portuaire réunie autour des pilotes œuvre dans le même sens, vers le développement du trafic, avec plus de régularité des mouvements et plus de sécurité.

 

Les investissements qu'on consentis les pilotes avec l'appui de la communauté portuaire et l'élargissement de leurs effectifs sont, à mon sens, la meilleure preuve de leur confiance dans l'avenir du port.

Pour ma part représentant ici le service maritime, sachez que nous prodiguerons tous nos efforts et nos moyens pour mieux connaître les phénomènes hydrauliques et nautiques de l'embouchure afin de faciliter votre tâche et la sécurité des navires.

Du long historique que je vous ai présenté que peut-on conclure ? D'abord que le pilotage est un des plus vieux métiers du monde, qu'on en aura toujours besoin et que c'est un métier fascinant, rempli d'émotions et de mouvements.

Ensuite que le port et l'économie de la ville et de la région lui doivent beaucoup, car sans pilote il n'y a plus d'activités maritimes et inversement.

Il est des mariages forcés qui ne sont pas seulement des mariages de raison. Ils peuvent engendrer de nobles passions et d’épiques querelles. Tel, je crois, le mariage de Bayonne et de sa rivière luttant ensemble pour leur prospérité. Tel est le mariage de l'Adour et de son embouchure, du port et de son accès et qui sait, des pilotes et des usagers.

 

Notas:

1 - Ur-Muga signifie « crête de houle, brisant »

2 - Arthy signifie « la houle du large, celle qui vient mourir » notamment sur l’Artha à Saint-Jean-de-Luz

3 - La houle atteint 4 m du creux en moyenne 14 jours en décembre, 15 jours en janvier et une dizaine en février et mars. Bien sûr si la mer est démontée, les pilotes ne sortent pas car l'entrée du navire en attente s'avère impossible, d'une part à cause du roulis, tangage et pilonnement qui provoque des sur-enfoncement supérieurs à l'amplitude de la houle, et d'autre part à cause des courants traversier provoqués par l'expansion de la houle autour de la grande jetée Nord, courants qui s'amplifient aux flots et gênent considérablement les manœuvres

4 - notamment du hêtre d'Iraty et du Béarn qui descendait les Nive ou les Gaves, par flottaison, et servait aux constructions navales (mats, avirons, planches).

5 - il y a 80000 ans, l’Adour se jetait directement à Capbreton, en passant par Dax et Saubusse sans passer par Bayonne. Il a creusé une profonde dépression que l'océan submergea lors de la transgression flandrienne, il y a 15000 à 20000 ans, à la fonte des derniers glaciers du Quaternaire (Würm). Son court avait été capté par la Nive vers le RISS (avant-dernière période glaciaire) ou dans l’interglaciaire Ris-Würm. À ce moment-là, le littoral était à l'isobathe - 100 m. Vert 7000-9000 ans avant Jésus-Christ il était à l'isobathe actuelle - 10.

6 - certains historiens situent cet événement en 1377.

7 - le métier d'ingénieur n'était pas bien défini. Léonard de Vinci mérite assurément ce titre. Les scientifiques de haut niveau étaient des astronomes, excellents mathématiciens, et qui prédisaient les trajectoires des astres, leur cinématique et finalement le temps. Les horlogers, moins scientifiques mais plus ingénieux, créent les mécanismes pour égrener le temps et dans une certaine mesure maîtriser la nature. Louis de Foix est horloger du roi d'Espagne quand il proposa, en 1570, roi de France, Charles IX, ses services pour résoudre le problème de l'Adour. Le contrat fut passé en juin 1572.

8 - la digue était faite de pieux (pilots) et de fascines bourrées de pierres sèches, comme étaient construits les barrages des moulins sur les rivières. Dans ces conditions elle résistait mal au courant de sape et devait être régulièrement entretenu. Fin du XVIIe siècle les digues sont en charpente et enrochement. À partir du 18e siècle, on emploie la maçonnerie reposant sur un lit d'enrochement et de pieux moisés. Les piles de pont suivent exactement la même évolution qui les rend de plus en plus solide .

9 - les lacs sont isolés en 1740 d'après de Champgobert. Ironie de l'histoire, on projette maintenant de relier l’un d’eux à l'Adour pour y créer un port de plaisance.

10 - pour garder la main mise sur tout le cours de l'Adour jusqu'à son embouchure, éviter que s'établissent des pilots hostiles et des commerces concurrents. Bayonne s'efforce détendre sa juridiction. La ville décrète le 27 octobre 1296 que la limite nord de sa juridiction s'étend jusqu'au Boucau de la pointe. En 1619, le maire des échevins et le conseil de la ville portent la limite au Vieux-Boucau. Le parlement de Bordeaux en terrine cette décision le 28 mai 1621 dans l'arrêté de nomination de d apostrophe à. Bourgeois en 1753, ce domaine et préciser « dans l'étendue de la rivière depuis Hourgrave jusqu'à l'embouchure de la mer appelée bourg neuf » c'est-à-dire l'embouchure actuelle.

11 - les navires infestés par des maladies contagieuses été mis en quarantaine dans la rade, comme à Pauillac sur la Gironde, et les équipages traités au Lazaret situé au pied de la colline boisée, là où se trouvent maintenant les abattoirs.

12 - Les grosses crues, avec les radeaux de troncs flottants qu’elles charrient, suffisaient à ruiner le pont en bois, par exemple en 1701. Le pont de pierre que l'on connaît a été construit de 1845 à 1852 avec sept arches en maçonnerie et élargi en 1912. C'est fondation ont été renforcées par remodelage des fonds amont en 1987 (chantier que j’ai initié).

13 - le lieutenant de vaisseau de Champgobert signale en 1835 que ce port du Boucau est soumis ou ressac et devrait être abandonné. Il n’en fut rien. Il se développe même. Mais le ressac se manifeste toujours, en hiver, au quai de Tarnos .

14 - Louis XIV institue les chambres de commerce dans 10 villes, surtout les ports, dont Bayonne, qui ne profite de cette possibilité qu'en 1726, à la suite des difficultés commerciales.

15 - le pilote major ou chef de pilotage a été institué par l'Amirauté, qui outrepasse son pouvoir, dès 1720.

16 - les chaloupes avancent à la rame le plus souvent, rarement à la voile. Les avirons de Bayonne (en hêtre) étaient d'excellente qualité et très prisés à l'exportation. Les rameurs Bayonnais étaient aussi réputés. Dans d'autres ports, équipés de cotres, les pilotes sont d'excellents régatiers au début de ce siècle .

17 - voici une anecdote opposant le pilote major à ses pilotes. En 1763, deux navires hollandais attendent d'entrer. Le pilote major se rend à bord et indique aux capitaines qu'ils ne devrons pas prendre plus de 6 chaloupes chacun pour le remorquage vu qu'il en a en tout 12. Un instant après 10 chaloupes se présentent au "Cerf" d'Amsterdam mais le capitaine conformément aux indications du pilote majeur refuse d'utiliser toutes les chaloupes. Il n'accepte que sur menaces des pilotes de se retirer mais aussitôt après avoir passé la barre, les pilotes abandonnent le bateau. L'absence de vent l'empêche de manœuvrer et il échoue au sud où il reste pendant une demi-heure. Des pilotes récidivent un instant après à l'égard du deuxième navire 'La montagne" de Rotterdam. Toutefois celui-ci arrive à passer et cinq chaloupes peuvent aller au secours du premier qui est finalement tiré d'affaire.

18 - cette digue a été baptisé en juillet 1988, digue Jean Lesbordes du nom de l'ingénieur des travaux publics de l'État qui en suivait la construction. Il fut aussi nommé chef de la station de pilotage pendant quelques années .

19 - le banc qui nous gêne est situé au sud de l'embouchure. Il est dû au courant de diffraction autour de la jetée Nord alors qu'avant cette jetée, le sable et la Madrague se résorbent en une pointe au nord de l'embouchure.

 

 

 

Références :

 

Règlement Général pour le Service du Pilotage, das les rivieres, ports et havres du quatrième arrondissement maritime (1830)

Mémoire montrant l'urgence d' exhausser et prolonger la la jetée du Sud par L. de Champgobert, lieutenant de vaisseau (1835)

Mémoire sur la Barre de Bayonne par M. Monnier, ingénieur hydrographe de la Marine (Commission formée en 1837 par le ministre des Travaux Publics pour l'amélioration de la Barre).

Mémoire de la Chambre de Commerce sur la nécessite et la possibilité d'améliorer ou de détruire la barre de l'Adour, et de créer une entrée praticable pour les navires de fort tonnage (1856).

Pilote de la Côte Ouest par Bousquet de La Grye (1873).

Enquête sur le Pilotage du Port de BAYONNE, M. Portes, Président de la Chambre de Commerce (1882).

Observations sur les travaux faits ou à faire à la BARRE et au fleuve par Ad. Descande, Chambre de Commerce (1882).

Les embouchures et les lits anciens de l’Adour avant le XVIè siècle par Ch. Duffart (Société Géographique Commerciale de Bayonne, 1857).

Notice sur le Port de Bayonne publiée par la Chambre de Commerce (1905).

Instructions Nautiques du Bassin d’Arcachon au Port de Pasajes (1908).

Aménagement Hydraulique de la Région du SUD-OUEST. Congres de BORDEAUX (1922). Le Port de BAYONNE Rapport de M. P. LE ROY Vice-président de la Chambre de Commerce et d’industrie de BAYONNE.

L'activité Commerciale de Bayonne au XVIII ème siècle F. Jaupart (1964).

IVème Centenaire du détournement de l’Adour. Actes du Congres de Bayonne, 28-29 octobre 1975, Société des Sciences, Lettres et Arts Lettres de Bayonne

Pilotes maritimes Textes recueillis par Jacky Messiaeu(1954)

Bayonne et la région bayonnaise du XIIème siècle par E Goyhenetche (1988)