Les Théâtres parisiens II

Soumis par pierre-yves le mer, 07/04/2010 - 22:40

Les années 1780-90 sont propices aux théâtres 

En 1770, une nouvelle salle est construite au Palais-Royal (ancien Palais-Richelieu) pour l'Opéra (qui a migré aux Tuileries après l'incendie de 1763), mais elle est la proie des flammes 11 ans plus tard (1781). Dans la foulée, pas moins de 6 salles vont être construites :

    • La reine Marie-Antoinette fait construire une salle provisoire pour l'Opéra (architecte : Nicolas Lenoir le Romain), à la Porte Saint-Martin. Cette salle royale perd son opéra en 1794. Le théâtre de la Porte-Saint-Martin est fermé par le décret de 1807, et rouvert en 1814, après restauration (la Restauration restaure les théâtres !). La salle brûlera en 1871 (pendant l'insurrection de la Commune) et sera reconstruite en 1873 (Théâtre de la Porte Saint-Martin, voir plus loin).
    • En 1782, le duc de Condé lotit ses terrains autour du nouveau théâtre de l'Odéon (ce qui est une erreur, puisqu'un Odéon n'est pas un théâtre !), pour accueillir la Comédie française. Comme un temple antique, les architectes Peyre et de Wailly entourent l'édifice de colonnes et d'arcades. Il brûle deux fois  (en 1799, reconstruit en 1808 ; et en 1818, rénové par Baraguey et Chalgrin en 1824). Pour la première fois, le parterre est "assis", tandis que la foule occupe le poulailler.
      Dimensions du Théâtre de l'Odéon : la salle a 18 m de large, 20 m de profondeur, 3 étages de balcons dont un avec retrait et un "poulailler", une capacité de 960 places. La scène est plus grande que dans les autres théâtres : 23 m de large, 14 m de profondeur, et 19 m de hauteur (sous gril).
    • En 1783, la salle Favart est construite sur un terrain du duc de Choiseul. Le duc mène grand train de vie, reçoit du monde et doit lotir son terrain pour faire face à ses dépenses. Le théâtre est en retrait par rapport au boulevard des Italiens, car il réserve l'accès au boulevard à un immeuble de rapport. Ses héritiers s'opposeront à un projet de rotonde donnant sur le boulevard. L'architecte Heurtier (architecte du théâtre Montansier de Versailles) créé la façade sur une placette, avec des colonnes antiques comme l'Odéon.
    • En 1786, l'écuyer anglais Philip Astley construit un cirque en bois, l'Amphithéâtre anglais, fg du Temple, puis le cède, en 1792, à Franconi, qui le renomme le cirque olympique. Sa piste mesure 13 mètres de diamètre, comme tous les cirques équestres, à cause de la longueur du fouet, 6,5 m. En 1802, il se déplace au fond du jardin des Capucines. On y accède par le n° 251 de la rue Saint-Honoré. Le bâtiment est transformé en magasin, le Grand Bazar en 1825 (ancêtre des "grands magasins des boulevards). Le cirque rouvre en 1827, sur le boulevard du Temple. En 1830, les féeries et drames militaires (napoléoniennes) remplacent les exercices équestres.
    • Enfin, le lotissement du jardin du Palais-Royal (appartenant au duc d'Orléans) est l'occasion d'y créer deux théâtres à la veille de la Révolution. La salle Richelieu est construite, de 1786 à 1790, par l'architecte Victor Louis (qui a fait le théâtre de Bordeaux et fera l'Opéra de la rue de Richelieu), sur le côté ouest du palais (actuelle Comédie française). Elle est dédiée à l'Opéra (qui a migré à la Porte-Saint-Martin après l'incendie du Palais-Royal, en 1781). Mais une autre salle est en construction rue de la Loi, actuelle rue de Richelieu pour l'Opéra. La salle Richelieu est rapidement louée à la troupe des Variétés amusantes. Elle sera refaite en 1850 en recourant aux matériaux nouveaux, la fonte, qui allège les supports, et évite les places sans visibilité.
    • Le second théâtre du Palais-Royal est d'abord dédié aux spectacles de marionnettes. Il a  été construit par le même Victor Louis, en 1784. Les agrandissements de la scène en 1830, 1880 et 1929, l'adaptent à d'autres répertoires. La corbeille est très avancée ce qui permet d'augmenter la capacité.

Dimensions du Théâtre du Palais-Royal (38, rue Montpensier, 1er arrondissement) : la salle a 12 m de large, 15 m de profondeur, 3 rangées de balcons sans retrait, une capacité de 750 places. La scène fait 11 m de large, 9 m de profondeur, et 11 m de hauteur (sous gril).

 

La Révolution démocratise les salles
A l'exception du théâtre de l'Odéon, tous les nouveaux théâtres sont sur la rive droite, qui désormais va drainer le monde du spectacle et des estaminets, au détriment de la rive gauche, plus sage et austère. Les galeries du Palais-Royal attirent la foule des penseurs et, bientôt des contestataires, qui feront la Révolution. Un changement important touchera le théâtre : sous l'"Ancien Régime", ce sont les princes ou les rois qui sont à l'origine des théâtres ; la Révolution ferme les salles "royalistes", emprisonne quelques temps des acteurs "complices" (libérés au coup d'Etat du 9 Thermidor), censure les livrets. Elle démocratise l'accès aux spectacles, et rebaptiser les salles : "théâtre de la Nation", "théâtre de la Liberté", "théâtre de la République". Le répertoire intègre de nouveaux soucis : la lutte contre l'esclavagisme, l'anticléricalisme. En parallèle, on ferme les églises. Au 50, rue Saint-Jacques, l'église Saint-Benoît-le-Bétourné est transformée en théâtre pendant la Révolution, et démolie en 1845. A Dijon, je connais une église qui a été transformée en théâtre.
En 1791, la Montansier acquiert un terrain provenant de l'ancien Hôtel de Louvois, rue (actuelle) de Richelieu, en face de la Bibliothèque royale ("nationale" aujourd'hui, 2ème arr.) et fait construire, par Victor Louis, un théâtre (1793). L'opéra s'installe au Théâtre des Arts en 1794. La Révolution nationalise la salle ("théâtre national"), parce que la Montansier est accusée d'avoir fait des spectacles pour la reine Marie-Antoinette, et, de surcroît, de menacer de mettre le feu à la bibliothèque "nationale". Mais la malédiction s'acharne sur l'Opéra : Bonaparte échappe à la "machine infernale" le 24 décembre 1800. Il se rendait à la première de la "Création" de Haydn. Le 13 février 1820, le duc de Berry, héritier du trône, y est poignardé par un certain Louvel. C'est la mort de cette salle. Elle est rasée. A sa place, on fait un square (square Louvois). Et l'Opéra migre, toujours plus au Nord, vers des quartiers nouvellement lotis, à l'angle de la rue Le Peletier et de la rue Rossini (en ligne droite par la rue Richelieu, à côté de l'actuelle Salle des ventes de Drouot). Architecte : A. Debret. Une fois encore, les régicides se manifestent : l'attentat manqué contre Napoléon III sur la route de l'opéra, en 1873, décide de la fermeture de ce théâtre, devenu trop exiguë à l'intérieur, et d'accès difficile pour les attelages à cheval. L'opéra de Garnier est achevé à temps fin 1874.
En 1791, la rue Saint-Martin (au n° 157) s'enrichit d'un théâtre : le Théâtre Molière. Il occupe les anciens bureaux de la Compagnie des Indes occidentales (puis Compagnie d'Occident), déjà transformés une fois en Bureau des Nourrices. Le Théâtre est fermé en 1807 (sous l'Empire), rouvert en 1831 (par les Rois), refermé la même année, rouvert l'année suivante, encore fermé en 1836, ... Il change maintes fois de destination ; il est dévolu tour à tour à la gymnastique, aux armes blanches, au bal, aux banquets, à un club, et même à un magasin. La Ville de Paris le rachète en 1982, et après réfection, en 1995, il peut accueillir la poésie (Maison de la poésie). La salle est de petite dimension pour réserver une bonne vue de toute place et permettre de suivre le regard de l'acteur, sans lequel l'écoute se disperse.
Dimensions du Théâtre Molière : la salle mesure 12,5 sur 13 m. Elle a deux galeries et contient 195 places. La scène fait 14 m de large, 7,5 m de profondeur et 6 m de hauteur.
En 1792, à l'emplacement de l'aile Richelieu du Louvre, l'architecte Lenoir le Romain (architecte au boulevard Saint-Martin) installe le théâtre du Vaudeville dans une ancienne salle de bal. L'incendie en 1838 chasse la troupe du Vaudeville (qui migre au 18 boulevard Bonne Nouvelle, puis, un an après,  près de la Bourse, d'où elle sera chassée par le baron Haussmann, en 1869, pour ouvrir la rue Réaumur). La salle est reconstruite sur le boulevard des Italiens de 1865 à 1869, à l'angle de la Chaussée d'Antin (architecte : Auguste Magne). En 1927, elle est transformée en cinéma, Paramount.

Les nouveaux théâtres : républicains
Par décret du 8 août 1807, Napoléon Ier censure les théâtres : leur nombre est limité à 8 sur les 18 que compte la capitale. Il maintient principalement les théâtres construits par les Grands de ce monde :

  • le récent Odéon, des Condé, rive gauche (il a brûlé en 1799 et n'est reconstruit qu'en 1808) ;
  • le théâtre du Vaudeville, rue de Chartres (aile actuelle du Louvre-Rivoli) ;
  • la salle Richelieu (actuelle Comédie française), de la famille d'Orléans ;
  • l'Opéra, rue de Richelieu (rue de la Loi), anciennement "théâtre des Arts", de La Montansier ;
  • l'Opéra comique (rue Feydeau) ;
  • le tout récent théâtre des Variétés (voir ci-dessous) ;
  • le théâtre de la Gaîté lyrique, boulevard du Temple ;
  • son voisin, le théâtre de l'Ambigu-comique.

variétésEn 1807, la troupe de Mademoiselle Montansier est chassée du Palais-Royal, car son voisinage déshonore la Comédie française. L'architecte Célérier lui construit le Théâtre des Variétés, à l'emplacement du jardin de Montmorency-Luxembourg. Place au peuple ! Madame de Montmorency était réputée pour sa beauté et pour sa mondanité. Même Napoléon avait apprécié sa compagnie ! La mode est au style antique : quelques colonnes et un péristyle font de ce théâtre un petit temple grec. Mais, construit tout en longueur, les accès et les dégagements la salle sont étroits. Pour limiter les dégâts d'un incendie, une citerne d'eau est placée au-dessus du plafond, pour arroser directement le foyer en cas d'incendie. C'est une innovation technique que le Palais Garnier reprendra (ventilation des combles pour évacuer les fumées, et pompes puissantes pour monter l'eau contenue sous l'édifice). De 1864 à 1869, Offenbach y est acclamé dans La belle Hélène et La grande duchesse Geroslstein.
1811 : construction du théâtre de l'école de musique et d'art dramatique (créée en 1784), actuel Conservatoire national supérieur d'Art dramatique (2bis rue du Conservatoire, 9ème arrondissement). La salle est pensée pour la musique ; elle met ses qualités acoustiques au service de la voix. On est en pleine période égyptienne, d'où les colonnes papyrus et les décors de lotus sur fond bleu. Le théâtre (architecte : Delannoy) s'inscrit dans le complexe des Menus Plaisirs du roi. Ce complexe abrite les ateliers de menuiserie, serrurerie, et les entrepôts où sont confectionnés et conservés les décors des fêtes royales. Cet ensemble sera réduit par le percement de la rue du Conservatoire, en 1853.
Dimensions du Théâtre du Conservatoire : la salle a les mêmes dimensions que celle du Palais-Royal (12 m de large, 15 m de profondeur) ; 3 rangées de balcons se superposent sans retrait, contrairement à la salle du Palais-Royal ; elle ne contient que 447 places au lieu de 750 places, car l'orchestre est de surcroît réduit par le proscenium (avant scène). La scène fait 11,5 m de large, 12 m de profondeur, et 12 m de hauteur (sous gril).