L'architecture civile s'adapte à son tour

Soumis par pierre-yves le jeu, 11/03/2010 - 00:26

L'architecture civile emprunte au gothique l'ordonnancement des façades, pour les forts, les bastides et les remparts :

-    fortifications de Montauban (1144), Cologne (1180),
-    Château-Gaillard, construit en un an par Richard Cœur de Lion (1197-98), pour protéger ses territoires normands, mais Philippe II l'assiège et le prend en 8 mois (1203). Avant son départ pour les croisades, Philippe II fait construire les remparts de Paris (rive droite, 1190) et la "grosse tour" du Louvre (achevée en 1202). Le comte Ferrand, fait prisonnier à Bouvines, y est "ferré", comme dit la chanson. Philippe II fait ensuite construire les remparts de la rive gauche (1210), d'Angers (1230) et de Provins (1229-36). Aigues-Mortes (1270), d’où partent les croisades dirigées par Louis IX (1249 et 1270), est également renforcée.

Les murs d'enceinte sont le corollaire du développement urbain (voir pages 10 et 11) : les villes attirent les menaces et les convoitises ; sans protection, elles ne se peuplent pas. Le développement économique et démographique exige des lieux sûrs, et, en retour, des villes protégées attirent la population des campagnes et la prospérité. Les murs servent également à structurer la ville et à réunir des "bourgs" isolés (Arras, Dijon - 1137, Limoges, Reims, Toulouse, Paris). Les enceintes sont en quelque sorte les premiers "plans d'occupation des sols". Elles désignent la "zone à urbaniser" : Charles V étend l'enceinte de Paris, en rive droite, en 1364, suscitant le lotissement du Marais. Le roi Charles IV a fait de même à Prague, en construisant une enceinte sur le rive droite de la Moldau, en 1348.
Le Palais de la Cité de Paris, qui est la résidence des rois et le siège du gouvernement depuis la dynastie des Capétiens, voit naître le futur Philippe-Auguste, en 1165. Le roi fait restaurer le palais dans le style gothique. Philippe le Bel (1285-1314) l'agrandit de 1296 à 1313, afin d'y loger les services financiers, administratifs et judiciaires. Mais Charles V abandonne le Palais où, enfant, il subit l'émeute dirigée par Étienne Marcel (1358) (voir ci-dessous). Le pouvoir se déplacera sur la rive droite, dans le quartier du Marais, autour de l'Hôtel Saint-Paul (résidence de Charles V en 1385). Le quartier se couvrira de palais ornés de fenêtres à meneaux, de réseaux, de colonnettes, de moulures au décor de feuillage.

De 1370 au XVIe siècle, le gothique flamboyant s'étend aux palais seigneuriaux :
D’un point de vue purement historique, ces années marquent une rupture dans le Moyen-Âge. Jusqu'à cette période, la population et la richesse ont cru de pair. Vers 1325-30, le malheur s'abat sur l'Europe : ce sont de mauvaises récoltes, puis les marchés périclitent sans raison apparente et les monnaies subissent d'importantes fluctuations. Soudain, en 1347, débarque à Marseille la peste noire, venue d'Asie, transmise par les rats de fond de cales. Elle se répand en 1348, ravage l'Europe et décime la moitié de la population française et le tiers de la population européenne (25 millions de morts). Comme un malheur n'arrive jamais seul, d'autres calamités s'abattent sur la pays : en 1356, un séisme centré autour de Bâle ébranle l'Europe (annoncé par des soubresauts, il ne surprend pas la population et fait peu de victimes). En 1364, il fait tellement froid que le Rhône est gelé pendant 15 semaines. Le schisme de la papauté (1309-1377), la guerre de Cent Ans (1338-1453), l’ébranlement de l’autorité impériale, la tension sociale et la crise religieuse qui aboutira à la constitution d’Églises nationales sont les lézardes qui arriveront à faire écrouler l’étonnant édifice que fut la société féodale. En 1357, Paris s'oppose au dauphin, le futur Charles V. C'est la révolte organisée par le prévôt Étienne Marcel, qui confirme la puissance des cités.
La guerre de Cent Ans interrompt les travaux, en prélevant main d'œuvre et finances. Mais comment éclate cette guerre (ainsi nommée par les historiens en 1825) ? En 1328, Charles IV le Bel meurt sans héritier. Il n'a pas un successeur potentiel mais deux prétendants : son neveu, qui l'emportera et régnera sous le nom de Philippe IV de Valois, et le petit-fils de Philippe IV le Bel, Edouard III Plantagenêt (un descendant d'Aliénor d'Aquitaine), qui est roi d'Angleterre (depuis un an). Les escarmouches, sièges, trahisons, traités de paix se succèdent de 1337 à 1453, mettant à mal les villes et les ouvriers maçons.

Le gothique dégénère en poussant toujours plus loin la prouesse des sculpteurs. C'est le gothique flamboyant : le nom est inventé par l'historien Jules Michelet, en 1833, en raison des formes de flammes des remplages des fenêtres.
En plan, le style flamboyant des cathédrales accorde une place grandissante au transept et aux chapelles latérales. En élévation, le triforium est supprimé ce qui permet d'augmenter la surface de vitraux. Les couleurs s'éclaircissent avec le jaune d'argent qui pénètre le verre à la cuisson (cémentation). Employé pur, il fait des cheveux blonds ; mêlé au bleu, il donne un vert clair très lumineux et des ourlets verts, en bordure de chapes bleues ; ou bien il adoucit le rouge en orangé. L'arc en anse de panier (surbaissé) annonce la Renaissance. Les grandes arcades s'allongent, pour ouvrir largement les nefs latérales, et supprimer l'unicité de la nef. Les voûtes s'ornent d'arcs multiples, plus décoratifs que porteurs (liernes, tiercerons), qui se croisent et s'entrecroisent comme un réseau (Amiens : 1265). C'est l'amélioration des techniques de stéréotomie (taille des pierres) qui a permis l'émergence de ce style. Les joints s'amenuisent et les traces d'outils deviennent imperceptibles. Les arcs se fondent dans les piliers, à la place des chapiteaux. Les piliers ne sont plus cantonnés de colonnettes, mais, à nouveau ronds. On assiste à des prouesses comme le pilier contourné de Saint-Séverin. L'art de la charpente influence les tailleurs de pierre, qui mettent en pratique le montage à goujon et clavette en losange, queue d'aronde, tenon et mortaise, etc. Cela permet de suspendre en porte-à-faux des clefs de voûtes très lourdes (de plusieurs mètres de hauteur). L'Angleterre pousse au paroxysme les nervures multiples, en éventail (fan-vault), ou en étoile (star-vault), du perpendicular style (équivalent, en plus exubérant, au style flamboyant).
La décoration intérieure se concentre sur les frises à feuillages découpés. À l'extérieur, gâbles et pinacles effilés se couvrent de bouquets de feuilles gonflées qui remplacent les crochets.
Dorénavant, l’intervention laïque devient prépondérante. L’art civil prend alors le pas sur l’art religieux. Le portrait fait une apparition remarquée, notamment sur des toiles peintes sur chevalet, et les objets d’orfèvrerie sont le moyen commode d’affirmer son luxe et sa richesse. Le roi récompense ses fidèles en distribuant des titres de noblesse, et les nouveaux nobles affirment leur pouvoir en édifiant de grandes demeures princières, où l’on voit apparaître la galerie, bien avant la Renaissance italienne ; les murs s’ouvrent largement sur l’extérieur pour recueillir la lumière au mépris de tout souci de défense. On réchauffe les murs avec des tapisseries qui empruntent leurs sujets aux romans courtois. Toutes ces œuvres, sans oublier la sculpture et la peinture, offrent les mêmes traits, elles révèlent un goût affirmé pour les courbes onctueuses, les recherches d’ombres nuancées et les couleurs délicates.
Peu de cathédrales sont entièrement en style flamboyant (car elles sont déjà en grande partie construites) : Auch est la dernière grande cathédrale (1490-1560), mais sa voûte est terminée au XVIIe siècle (1620-40), tout en respectant le style gothique. Tout au plus, les façades d'Aix-en-Provence (1480-1515), Auxerre, Meaux, Toul (1460-1500), Tours, Troyes et Vienne datent de cette époque. Les flèches ajourées (tour du beurre à Rouen, 1485-1506 ; flèche Nord de Chartres, terminée en 1517) concluent en apothéose l'élévation des cathédrales monumentales. Evreux, Beauvais, Sens, Le Mans, sont dotés de nouveaux transepts flamboyant. Arles, Metz (1485-1520), Moulins, Saint-Pol de Léon, et Viviers reçoivent de nouveaux chevets. En Savoie, les églises franciscaines d'Annecy (1430-80) et de Chambéry (1520-40), transformées plus tard en cathédrales, et Saint-Jérôme de Digne (1490-1501) sont entièrement construites à cette époque. Leurs proportions sont modérées (50 m de longueur), et la décoration intérieure limitée. Les murs au dessus des grandes arcades sont nus, et les fenêtres hautes de taille réduite.