Le Liban

Soumis par pierre-yves le mar, 06/04/2010 - 19:09

Exposition à l'Institut du monde arabe

Le Liban est une mince bande de terre, coincée entre la vallée du Jourdain et le désert jordanien, à l'Est,  et la mer Méditerranée, mais si son territoire est petit, son histoire est immense.
Il y a 100 millions d'années, le Liban était sous l'eau. Son sol est calcaire. L'homme apparaît vers 700.000 ans avant notre ère. Le paléolithique laisse des pierres taillées en couteau pour découper des bêtes, ou tailler du bois. Le néolithique correspond à la pierre polie (le tranchant est affûté).
Vers -4000, une révolution se propage dans toute cette région : l'agriculture ou l'art de domestique la nature (on sème, on récolte). Elle implique la sédentarisation. Il n'est plus nécessaire d'errer à la recherche de la subsistance. Des corps de métier s'imposent, comme le fabricant d'outils agricoles, ou le tisserand. Chacun  se spécialise. On domestique les animaux, soit de trait, soit à manger. Les maisons ont une assise de pierre (qui a survécu aux intempéries). Les morts sont enterrés dans des jarres (on découpe sur la plus grande section et on referme). Le mort est en position fœtale. On lui fournit de la nourriture, comme viatique, ce qui prouve la notion d'un au-delà. On trouve des bracelets en argent, nécessairement importés car il n'y a pas de métal dans ces contrées. On a ainsi la preuve d'un commerce avec d'autres peuples.

Byblos : la plus vieille cité

Le Liban possède la plus ancienne ville, née vers -7000, toujours habitée depuis, maintes fois détruite et reconstruite : Byblos. Vers -2800, Byblos possède deux temples : l'un dédié à une déesse, que, faute de mieux, on appelle "la dame de Byblos" et le second en "L" (c'est le "temple en L"). Des temples attestent à la fois l'existence d'un culte, d'un sacerdoce, et d'une organisation qui a permis de les construire. La ville se structure (urbanisation, plan de ville) et s'entoure de remparts, sous l'impulsion d'un roi.
Les Phéniciens n'ont pas laissé de traces écrites, bien qu'ils aient inventé l'écriture !  Byblos contenait une riche "bibliothèque", qui a malheureusement disparu car le support était du papyrus, fragile et sensible à l'humidité (contrairement aux ostraca en argile de Syrie ou de Sumer). C'est de "Byblos" que découlent les mots "bibliothèque" et "bible "(le "Livre"). Il faut compter sur leurs voisins pour connaître des bribes de leur histoire, ou des noms de rois. Des documents trouvés dans les fouilles d'Armana, en Egypte (l'éphémère cité d'Akhenaton) décrivent les relations commerciales entre Byblos et l'Egypte du nouvel Empire (1580-1085). Le Liban était couvert de forêts de cèdre. Or l'Egypte manquait de bois : le cèdre servait fabriquer les barques sacrées, les charpentes, les portes des temples, les échafaudages, et son huile intervenait dans la momification car elle facilite la conservation. Par analogie, on fabrique des caisses en cèdre pour contenir les vases canopes. L'Egypte fournissait du froment et des papyrus, en échange de ce bois précieux. La Bible contient un passage où le roi de Tyr donne du bois pour le temple de Jérusalem, construit par Salomon, en échange d'huile vierge et de blé. Ou bien, un commerce triangulaire s'effectuait entre l'Egypte (le blé et le papyrus), les îles grecques (poteries, tissu de lin, et le vin, d'ailleurs appelé d'un nom sémitique, carmon, y compris en Egypte), et le Liban (le cèdre). Les marins sont soit des îliens (par encore des Grecs), soit les Phéniciens. Encore qu'à cette époque, les habitants ne s'appellent pas "phéniciens". Ce sont les Grecs qui les nommeront ainsi en raison du rouge pourpre qu'ils produisent (phoiniké = "pourpre"), ou de la couleur rouge caractéristique de leurs poteries. Eux se considèrent appartenir à telle cité, Tyr (aujourd'hui, Sour), ou Tripoli, ou Beyrouth. La notion d'Etat n'existe pas. L'abondance de bois et le besoin d'aller chercher les produits agricoles, les pousse à construire des navires et à prendre la mer.
La mer apporte la seconde richesse du pays : le murex. Le gastéropode qui habite ce coquillage crache, quand il est en danger, un poison, comme le poulpe qui éjecte de l'encre. Mais la goutte du murex, d'abord incolore, se teinte en rose, puis vire au pourpre, à la lumière. Il faut 12.000 coquillages pour fabriquer 1,5 kg de teinture. A Sidon, un tell de 10 m de haut est constitué des coquilles vides d'autant de gastéropodes qui ont craché leur pourpre avant de mourir. Les Romains en raffolent : ils teignent les toges de notables (le "rouge impérial").
Le continent est le lieu de tous les dangers : les brigands de grand chemin, les conquérants Amorrites, Hittites, Assyriens. Les Amorrites dévastent la côte en -2200. Les fouilles du XIXe siècle sur le site de Byblos (Ernest Renan, en 1860, puis Maurice Dunan) ont dégagé 50 cm de cendres ! Une nouvelle ville surgit des cendres, et un nouveau temple surplombe les temples détruits : le temple aux obélisques, car il est hérissé de 30 petits obélisques de 1 à 2 m de haut. D'où vient cette forme d'obélisque si ce n'est d'Egypte ? Sur les obélisques, on a identifié le nom du dieu Rechef, taureau fécondateur et protecteur du roi. Les prêtres cachent les offrandes (trop abondantes pour être toutes exposées). On a ainsi retrouvé de belles statuettes en bronze du dieu guerrier Rechef. Elles ont toutes le même profil, car elles étaient moulées en série : le pied gauche en avant, le sexe en érection (ithyphallique, comme Ptah en Egypte). Il porte un bonnet pointu, qui ressemble au bonnet des bergers actuels (lébadé), mais sur les statuettes, il est doré à la feuille. Dans les tombes, on a mis à jour des objets d'art, comme des poignards dont le manche est orné de cervidés affrontés. Ce dessin est classique en Mésopotamie, et il prouve qu'il y avait des échanges avec ces peuples. Il s'agissait d'échanges commerciaux, ou d'échanges de cadeaux, pour sceller des alliances, et éviter les guerres. Une dague montre une procession d'animaux y compris le lion et le babouin inconnus au Liban. Le chaton d'une bague est en lapis-lazuli importé d'Afghanistan. L'ivoire importé d'Asie est sculpté, ainsi que l'ivoire d'hippopotame. Les influences se multiplient dans les motifs décoration : influence d'Assyrie (animaux affrontés ou bien la déesse Astarté portant trois couronnes mésopotamiennes), influence égyptienne qui se traduit par des représentations de faucon protecteur, ou d'amulettes traditionnelles (le pilier djed de la stabilité, la croix de vie ankh, et les sceptres), ou par l'assimilation de la déesse Astarté à Hathor (qui conduit les morts vers leur demeure éternelle) ou encore par la fabrication de faïences bleus d'hippopotames, identiques à celles d 'Egypte, et de vases en verre moulé ornés d'ondulations (on rajoute sur le vase un filament de couleur claire, et on réchauffe le vase : cela donne un effet marbré). Le verre soufflé est inventé par les Phéniciens vers -1250 à Sidon (on utilise une cane pour souffler la paraison, boule de verre en fusion, éventuellement placée dans un moule). Le verre est rendu fluide grâce à l'oxyde de manganèse.
La ressemblance avec les originaux est telle qu'on se demande toujours si ces objets sont importés ou fabriqués sur place. La découverte d'ateliers (fours, débris) confirme qu'il y avait de la fabrication locale, éventuellement avec des artisans immigrés.

L'alphabet
En 1922, Edmond Monte a découvert près du temple des obélisques 9 sarcophages dont 3 en bon état. Ils sont en calcaire. Les sarcophages reposaient au fonds de puits. On imagine qu'ils étaient amenés par roulement sur un lit de sable remplissant le puits. On évidait le sable par les côtés pour que le sarcophage descende au fonds. Des lions supportent les angles et des félins s'étirent sur le couvercle, en tendant leurs pattes en guise de poignée. Les bas-reliefs ressemblent aux défilés d'orants égyptiens. Mais surtout, le sarcophage du roi Abichémou porte un texte en écriture alphabétique, qui en fait une des inscriptions les plus anciennes. Le déchiffrage a été découvert en 1858 par l'abbé Barthélémy, grâce à un texte traduit sur une stèle, en trois langues, araméen, grec et phénicien. Cette pierre qui équivaut à la pierre de rosette de Champollion a été découverte à Malte. Une fois de plus, ce n'est pas au Liban qu'on trouve les traces significatives sur la vie de ce peuple mais à l'extérieur, chez les peuples qu'ils fréquentaient. La langue diplomatique de l'époque est l'akkadien. C'est une langue complexe, composée de 600 signes. Les Phéniciens inventent les consonnes, 22 en tout. L'écriture devient accessible au plus grand nombre et perd son caractère sacré (les scribes égyptiens adorent Thot, ceux de Mésopotamie se fient à Nébo, fils de Mardouk). Ils ont l'idée géniale de décomposer les mots en sons élémentaires (les "lettres") et d'écrire chaque lettre avec le signe d'un mot simple commençant par cette lettre (ou ce son élémentaire) :

 

 

 

 

mot

se dit

d'où la lettre

bœuf

"alef"

a

maison

"bet"

b

porte

"delet"

Ces premières lettres "a et b" deviennent "alpha" et "bêta" chez les Grecs, d'où le mot "alphabet".

Nouvelles invasions
La mer est la voie de communication de la Méditerranée : vers -1500, les "peuples de la mer" (les Mycéniens) débarquent sur la côte phénicienne. Dans leurs bagages, ils introduisent des poteries (de Crète, d'Attique, etc.). La pression des conquérants terriens que sont les Amorrites (en Syrie) et les Hittites (en Anatolie) pousse les Phéniciens à faire appel à l'Egypte (on a retrouvé des courriers diplomatiques, en langue akkadienne). Mais il faut attendre Ramsès II pour que les Egyptiens se décident à affronter les Hittites (Qadesh, vers -1300).
Vers -1250 (âge de fer), les Philistins débarquent à leur tour. Ils détruisent la civilisation d'Ougarit, et avec eux, leur langue, qui était alphabétique (mais avec 33 caractères). Mais leurs écrits ont survécu car ils étaient consignés sur des tablettes de terre cuite.
Désormais, les Phéniciens vont naviguer pour échapper aux menaces terrestres et maritimes. Ils vont contrôler tout le pourtour méditerranéen, fonder la colonie de Carthage (-800), s'affronter aux Romains (guerres puniques, -265 à -164), s'établir jusqu'en Espagne, à Tarsesos (producteur d'argent) et commercer avec la Cornouailles (pour importer l'étain) ou Chypre (producteur de cuivre). La légende dit que la princesse qui s'établit sur la presqu'île de Carthage se fait attribuer une superficie définie par une peau de taureau. La princesse découpe la peau en minces lanières qu'elle étire sur le périmètre le plus long possible. Une tradition locale exige que l'on offre au temple le premier fils en sacrifice. On a retrouvé les stèles dédiées aux enfants ainsi sacrifiés.
Au Liban, les envahisseurs ne cessent de déferler : les Perses en -538, les Grecs d'Alexandre le Grand en -333. La ville de Tyr (qui est construite sur une presqu'île) résiste à un siège de 7 mois. Le grec et la culture grecque se généralisent. Les enfants participent aux jeux hellénistiques. Les sarcophages sont de forme humaine, comme en Egypte, mais les canons sont grecs. On utilise le marbre de Paros. A côté du temple d'Echimoun, le dieu guérisseur (proche d'une fontaine miraculeuse), on a mis à jour des chapiteaux à protomés de taureaux, comme en Perse. Comme dans nos églises, les fidèles guéris (ou désirant guérir) déposent des offrandes au dieu : par exemple une statue d'enfant accroupi. La déesse Astarté est assimilée à Vénus-Aphrodite.
Puis ce sont les Romains qui colonisent la région. Septime Sévère, en l'an 194, partage le territoire en deux : le Nord, autour d'Antioche (la Syrie actuelle), et le Sud, avec comme capitale, Tyr. Les Romains introduisent d'autres dieux tel Mithra. Emanation de la lumière, il prodigue l'abondance et les récoltes. Il symbolise aussi le bien, qui terrasse le mal personnifié par un serpent. Mithra sacrifie un taureau. Des plaies du taureau coule le sang qui se transforme en vin, et en grains de blé. Le serpent et le scorpion tentent en vain de dévorer les produits. Les Romains fondent Baalbek (Héliopolis), dédié au dieu Baal. Hadad, dieu de la pluie, est assimilé à Jupiter. Il se montre engoncé dans une combinaison moulante, portant un chapeau cylindrique évasé au sommet. Trois temples de dimensions colossales sont dédiés à Jupiter (-Hadad), Vénus et Mercure. Des pierres de 750 tonnes ont été amenées. Les colonnes sont cannelées, et terminées par des chapiteaux corinthiens. Le tremblement de terre qui secoue la côte et déverse un raz-de-marée en 551 endommage les monuments.
A la mort de Théodose, l'Empire romain se recentre autour de Constantinople. On y parle le grec. Rome périclite (476). Puis vient l'islam, non seulement comme religion, mais aussi comme moteur de civilisation et de conquête. La Phénicie est rattachée au nouveau royaume, basé à Damas (650), puis à Bagdad (663). Bagdad est riche d'un million d'habitants quand Paris n'en a que 30.000. A cette époque, le pays se couvre de mûriers à soie. La soie fabriquée en Palestine acquière une excellente réputation. L'islam se propage et suscite des sécessions : Cordoue se détache du califat, puis c'est Le Caire que fonde un calife en 969. En 1045, les Seldjoukides turcs dominent le Liban. Sous prétexte de reconquérir la terre sainte, mais aussi pour se rapprocher des caravanes important soie et épices, les Croisés, armés par Gênes et Venise, débarquent en 1099. Ils créent 4 Etats, dont Antioche, Jérusalem, et Tripoli. Des esclaves turcs affranchis, les Mamelouks relèvent le défi, profitant de l'affaiblissement du pouvoir central. Ils boutent en dehors les chrétiens en 1293, ouvrant la voie de Constantinople (prise en 1453). Le régime est très dur : chaque famille doit donne un fils à l'armée mamelouk, qui l'élève en bon soldat.
L'imprimerie apparaît au XVIe siècle. L'arabe devient la langue de la contestation face à l'occupant turc (qui se maintient jusqu'en 1922). L'imprimerie permet de diffuser les ouvrages religieux, comme le psautier des Amorrites (du nom d'un moine, Amor, mort à Apamée en Syrie). Des chrétiens survivent en terre musulmane : ils se rattachent à l'église grecque orthodoxe, qui accepte les images (icônes) depuis le concile de Calcédoine (on les appelle les calédoniens ou les malachites, du nom d'un prêtre Malachée qui défend ces thèses).

Pierre-Yves Landouer, le 20 mars 1999