Egypte : portraits du Fayoum

Soumis par pierre-yves le mar, 06/04/2010 - 12:49

En 332 avant J.C., Alexandre conquiert l'Egypte. Le nom "Egypte" est une déformation grecque de l'égyptien "

el khemet"

[el remet], qui signifie "terre noire", ou "terre de magie" (un autre mot en dérive : "alchimie"). Alexandre fonde la ville qui porte son nom, Alexandrie, et laisse derrière lui le général Ptolémée, le quel fonde la dynastie qui porte son nom (les Ptolémées). Ainsi, la Grèce, bientôt soumise à Rome, prend pied en Egypte, dont elle fera son grenier à blé. La dernière reine, Cléopâtre, vaincue à la bataille d'Actium, en 30 av. J.C., ouvre la voie aux Romains. L'administration romaine quadrille le pays, les préfets séjournent dans des villes nouvelles, jusqu'à la chute de l'Empire romain (IVe siècle). Mais tous se laissent influencer par la tradition égyptienne et notamment dans le domaine religieux et funéraire.

Les "portraits du Fayoum" sont un exemple de métissage des rites égyptiens et d'une tradition de portraits familiaux, sans doute vivante dans tout l'empire romain, mais dont les seuls témoins ont survécu en Egypte du fait du climat sec. Ils ont été découverts par un anglais, près du lac intérieur du Fayoum (assez grand pour mériter ce nom signifiant "la mer"). D'autres tombes ont été fouillées plus au Sud, dans les villes prospères de l'époque, comme Antinoë (du nom d'un soldat, Antinoüs, qui se noya dans le Nil). A Touna-el-Gebel, on a trouvé des plastrons en plâtre.
Pour comprendre le rite funéraire de l'Egypte romaine, il faut revenir sur la tradition égyptienne :
Hommes et dieux sont composés d'un corps, support matériel, vivant ou statufié, et d'une âme immortelle symbolisée par un oiseau à tête d'homme.
Le ka est l'énergie vitale reçue à la naissance (elle est offerte par une divinité) et entretenue par le biais des aliments. Les rois et les dieux ont plusieurs  ka (14 pour Rê).
Le cœur, ib, est le siège des émotions et des sentiments et des décisions.
Le ba est la  partie mobile de l'énergie d'essence intellectuelle en charge de l'énergie sexuelle notamment. Elle s'envole comme un oiseau au moment du décès. Mais l'individu renaît dans l'autre monde sous une forme transcendante immortelle (akh ; l'akhou est le "glorifié"). Deux conditions sont nécessaires :
que le corps garde son intégrité, et que la dépouille garde son nom. Le nom est une partie intégrante de l'individu. Il le reçoit à la naissance et c'est seulement avec son nom qu'il entre et se maintient dans le corps social. Détruire le nom, c'est donner la mort définitivement. D'ailleurs, on sait que pour effacer la mémoire d'un mort tombé en disgrâce (comme Akhenaton), on détruit toutes les traces de son nom.
La mort n'est pas une fin mais une renaissance. Le cercueil se dit "Neb Ankh", "possesseur de vie". Le sarcophage est un terme grec à connotation négative ("dévoreur de chair").
Le mythe d'Isis qui redonne vie à Osiris dans l'au-delà, sous-tend l'espoir d'une seconde vie, à la quelle le défunt doit être préparé . Pour cela, son corps est embaumé et momifié. L'embaumement (littéralement l'application de baumes de conservation) se pratique sur le corps vidé des viscères (par une excision sur le côté gauche) et de la cervelle (par le nez). La technique a été mise au point vers 1000 av. J. C.. Le corps est ensuite desséché dans du natron (un sel), enfumé d'encens et aspergé de myrrhe. Les organes sont conservés dans des vases canopes, à proximité du corps, pour le cas où le défunt en aurait besoin dans l'au-delà. Ces vases portent l'image des fils d'Horus : lui-même est le fils d'Osiris ressuscité et d'Isis et c'est lui qui prit la revanche sur Seth et instaura la dynastie des pharaons. Le babouin symbolise le Nord et contient les poumons. Le faucon indique l'ouest et renferme les intestins, tandis que le chacal, venu de l'est, protège l'estomac. Le quatrième canope a une tête d'homme. A l'époque romaine, la conservation des organes tend à disparaître. La technique de momification s'est simplifiée et les prix ont baissé, amenant un plus grand nombre de demandeurs qu'aux temps pharaoniques. Parfois, le corps est déjà décomposé. Dans ce cas, on le rigidifie en le remplissant de résine.
La momie est serrée dans des bandelettes (16 mètres), puis habillée d'un linceul de lin, peint suivant un rituel immuable : le défunt est représenté en Osiris, au corps vert comme les champs ; il croise les bras et tient les signes du pouvoir, le sceptre, heka [hera] et le fouet, nekhekh [nerer]. Au dessus, la déesse du ciel, Nout, courbe son corps comme la voûte céleste. Elle qui assure la renaissance solaire du mort. Le scarabée Khepri, qui survit dans le désert, évoque le soleil, victorieux de la mort (la nuit) quand il réapparaît au petit matin. En effet, le scarabée pousse devant lui une boule d'excréments, enfermant ses œufs. Aux pieds d'Osiris, le chien Anubis tient les clés du ciel (c'est à lui qu'est attribuée l'invention de la momification et c'est lui qui réunit les membres d'Osiris). Il est associé à Seth et désigné par la coupelle, qui est homonyme. A moins que ce ne soit Thôt en train de peser les âmes (Bâ), sous l'œil expert de l'ibis, greffier, ou un lion, symbole du désert (le désert engloutit le soleil chaque soir et le restitue le matin, puisque le Nil est entre deux déserts). Un phénix emporte l'âme du défunt pour sa renaissance. Sur les côtés du mort en Osiris, on trouve souvent Isis et Nephtys, les protectrices, ou le lotus (symbole de la renaissance, car il s'ouvre chaque matin), ou encore une grenade (symbole de fertilité à cause des ses innombrables graines) ou bien des signes géométriques "wwww".  Réminiscence égyptienne : sous sa tête (relevée), on place le Livre des morts, et les 42 phrases magiques à réciter à Osiris. Même si on n'y croit qu'à moitié, mieux vaut mettre toutes les chances de son côté. L'or, qui est éternel comme on sait, masque les ouvertures (nez, bouche, yeux, parfois parties génitales), pour retenir le souffle de la vie, quand il ne couvre pas la totalité du visage. Cette pratique n'est toutefois pas attestée avant l'époque romaine.
La momie est ensuite placée dans un sarcophage représentant le défunt divinisé. Mais aucun signe ne permet d'individualiser le défunt à l'époque pharaonique. On distingue au mieux hommes et femmes, par la couleur de la peau, plus claire pour les femmes (moins exposées aux travaux de plein air ?). La couleur est d'avantage symbole que réalité. Le vert d'Osiris est le symbole de la végétation, l'ocre représente l'or et le soleil, tandis que le noir désigne le limon, porteur de semence. La forme toutefois est fidèle car elle résulte d'un moulage directement sur la momie, en papier mâché : la cartonnage en papier mâché est utilisé dès la première période intermédiaire (1000 av. J.C.). Il couvre tout le corps (découvertes à Akhmîn) ou seulement le buste. Au début de l'ère chrétienne, les cartonnages se simplifient et se réduisent au buste. Les romains utilisent le papier mâché jusqu'au IVe siècle mais le remplacent souvent par le plâtre (principalement à Antinoé). Le masque en plâtre se réduit au IIIe siècle au buste, et la tête se relève, pour faire comme le soleil levant. La technique du plastron en plâtre permet la production en série, à partir d'une matrice en argile.
Les momies sont traitées à la chaîne. Le nom du mort est aussi essentiel que son corps : aussi son nom le suit à la trace, inscrit sur une étiquette de bois de 10 cm de long. Il arrive que la famille garde les momies à son domicile, et se décide de l'enterrer toutes en même temps. Des stèles marquent le lieu de l'enterrement. Les styles se croisent, le fronton grec voisine la corniche à gorge égyptienne. Horus, dieu égyptien, est représenté de face (à la mode gréco-romaine) et les convives entourent le défunt sur des banquettes (à la mode romaine).
A partir de l'époque romaine (on date cette évolution de la seconde génération des conquérants, soit au début de l'ère chrétienne), on personnalise le visage par la peinture, l'ajout de barbe ou d'une coiffure à la mode. Peu à peu, c'est la peinture ressemblante qui représente le défunt et non plus la forme du sarcophage. D'ailleurs, le sarcophage se réduit ou disparaît.
Le traitement du mort est question de prix : les plus fortunés ont un enterrement de première classe, avec un cercueil en bois et beaucoup d'or sur le corps. Les moins fortunés limitent l'embaumement au minimum, sans éviscération ni excérébration (on évalue néanmoins à 4 mois de salaire le prix des pompes funèbres). On utilise un liquide corrosif pour dissoudre les parties intérieurs, mais ces momies ne se sont pas bien conservées. Elles sont enveloppées dans un simple linceul peint, sur le quel est collé un portrait, réalisé en général de leur vivant. Le portrait est découpé au format du visage et complété avec les signes funéraires : la couronne de roses du "justifié" (acquise après l'examen de passage dans l'au-delà), et un collier d'or. Les pratiques varient également dans le temps (pratiques de plus en plus simples mais accessibles au plus grand nombre) et dans l'espace (à Touna-el-Gebel : les plastrons ; à Antinoé : les linceuls peints ; au Fayoum : les portraits).
Les portraits témoignent à la fois de l'art du peintre et de la vie de cette époque. Ils sont en général  légèrement de trois-quarts, avec un regard expressif. Les visages de femme sont un peu plus clairs, comme dans l'Egypte ancienne. Dans le cas où le défunt n'a pas été peint de son vivant, des ateliers de peintures sont capables de réaliser un portrait assez ressemblant, d'après le masque mortuaire. Ils sont faits de face, et affichent des yeux ronds et absents. Pour les enfants morts en bas âge, on se contente de stéréotypes (front bombé, joues gracieuses).
Les portraits sont peints sur du bois importé (tilleul, hêtre), il est donc cher et cela explique qu'il est utilisé en faible épaisseur; mais on trouve également du figuier qui pousse sur place. Les techniques grecques et égyptiennes s'interfèrent : la technique grecques, à l'encaustique (cire chaude), a été mise au point au Ve siècle av. J.C.. Elle rend bien les modelés, et les ombres. Le style égyptien à base de détrempe, est plus graphique : le modelé et les ombres sont rendus par des hachures (comme dans un dessin).
En 395, l'empire romain s'éclate en deux parties. L'Egypte décline et disparaît de l'archéologie.

 

   

-      Le principe de la renaissance d'Osiris correspond à l'apparition de la pierre dans la construction des temples. Elle est plus durable que la brique crue utilisée auparavant.

Pierre-Yves Landouer, décembre 1998, Musée du Louvre