Paris : les ponts

Soumis par pierre-yves le mer, 07/04/2010 - 00:17

Exposition à Hôtel de Ville de Paris

La Seine, fleuve navigable
Les "marchands de l'eau" ou nautes ont le monopole du transport pour Paris. Ils sont constitués en association, la hanse. Celle-ci acquiert le privilège de lever l'impôt (1190) et de représenter les intérêts de la ville, face aux pouvoirs multiples du roi, des nobles, des évêques et des abbayes. On compte 500 juridictions différentes (police, justice, etc.) à la fin du Moyen Âge.
La navigation sur la Seine et délicate au passage des ponts. Ce sont des "chefs de ponts" ou "avaleurs de nefs" qui ont l'exclusivité des passages, comme les pilotes de ports. Pour cela, ils perçoivent un droit, à partir de l'octroi de la Rapée (point amont où débute leur privilège). L'adage édicte que "tout avoir qui entre dans l'eau (sur un bateau) ou hisse de l'eau (est débarqué sur le quai) doit obole au rivage". Pour la remontée du courant, les pilotes utilisent des treuils mus par des roues à aubes, car le chemin de halage est interrompu au niveau des ponts.
Au XXe siècle, le transport de passagers prend son essor, jusqu'à l'introduction des autobus puis du métro à la fin de ce siècle. En 1803, le premier bateau à vapeur, et à aube, est testé. A partir de 1837, la Compagnie Générale des Bateaux à vapeur assure une liaison de Paris à Saint-Cloud. Les expositions universelles de 1867 et 1878 sont le prétexte à une réorganisation des "bateaux omnibus". Jusqu'en 1914, des millions de passagers sont transportés entre Maisons-Alfort et Suresnes (26 Millions/an au plus fort du trafic). Ce service disparaît en 1934. En 1950, le tourisme relance les bateaux-promenade ou bateaux-mouches.

 

Les ports
Le premier port est implanté en amont de l'île de la Cité : le port Saint-Landry. Y débarquent du bois et de l'alimentaire. Louis VII le complète en 1141 avec un port sur la rive droite, le port de la Grève, nommé en raison de la pente douce de la berge. Les produits alimentaires fournissent les halles de la rive droite. Le poisson est vendu sur place, et conservé à bord de bateaux munis de viviers. Au XIXe siècle, les ouvriers sans travail prendront l'habitude de se réunir place de Grève, face à la municipalité. Delà vient l'expression "faire la grève", pour signifier une manifestation d'ouvriers (en fait sans travail).

Les activités sur les berges et sur l'eau
Les bords de la Seine accueillent toutes sortes de navires non marchands :

  • bateaux-lavoirs arrimés à la rive droite qui est ensoleillée (principalement au niveau de l'île Saint-Louis). L'île-aux-vaches (qui sera remblayée pour former l'île Saint-Louis) sert à étendre le linge. Il y a 80 bateaux-lavoirs en 1789. Leurs permis ne sont pas renouvelés en 1805, mais ils ne disparaissent que progressivement jusqu'en 1937.
  • bateaux-piscines. Le dernier, la piscine Deligny, coule en 1993.
    Sur le fleuve, s'ancrent des moulins-nefs, bateaux équipés de roues à aubes actionnant des meules. Les moulins-pendus, fixés au Grand Pont, leur font concurrence. Le Pont aux Meuniers (construit en 1323) remplace les bateaux. Il comprend une passerelle d'accès aux moulins fixés dans le lit du fleuve. Une autre activité est le pompage de l'eau : pompe à eau dite de la Samaritaine, sur le Pont-Neuf (1608-1813), pompe au Pont Notre-Dame (1671-1852).

     

    Les ponts
    A l'origine l'île de la Cité facilite la traversée de la Seine. Le grand bras au Nord est franchi par le "Grand Pont", et le petit bras par le "Petit Pont".
    La construction des ponts est emprunte depuis fort longtemps de connotations religieuses. Franchir un fleuve peut heurter les esprits malins, et battre des pieux les irriter. Les Romains font appel à un prêtre, le "pontifex", littéralement "faiseur de ponts". D'où découle "pontife", le plus haut niveau de la communauté religieuse. Le pontife fait des sacrifices, d'animaux, voire, dans certaines légendes, humains. La hache, qui sert à couper le bois ou à décapiter les animaux sacrifiés, est leur symbole. La superstition demande de battre les madriers de bois la cime en haut. Au Moyen-Age, les moines sont chargés de faciliter les pèlerinages, en organisant le franchissement de fleuves, au moyen de bacs ou de ponts, et en recueillant les malades. Ceux qui les aident reçoivent des indulgences sous le pontificat d'Innocent IV (1234). En 1500, c'est un moine italien, le père dominicain Joconde, qui reconstruit le pont Notre-Dame (détruit par la crue de 1499). En 1695, un moine dominicain, le frère Romain, participe avec J H Mansart et J Gabriel à la construction du pont Royal.
    Le Pont-aux-Meuniers est construit par le Prévôt de la ville, le Petit-Pont par l'évêque Maurice de Sully (qui lance la construction de la cathédrale Notre-Dame), tandis que le Pont au Double est d'abord un lien entre deux bâtiments de l'hôtel-Dieu avant d'être ouvert au public (9 ans après sa construction). Une initiative privée importante est l'urbanisation des îles amont de la Cité, regroupées en île Saint-Louis, au XVIIe siècle. L'ingénieur et promoteur Christophe Marie construit le pont qui relie l'île à la rive droite et porte son nom.
    Les autres ponts relèvent de la puissance publique :

    • Le Pont-Neuf, construit par Henri III (1578-88) et achevé par Henri IV (1598-1607) est financé par le lotissement de trois îlots inondables, en aval de l'île de la Cité (à force de lotissements, l'île passe de 8 ha, à l'Antiquité, à 17 ha). Ce lotissement préfigure la place des Vosges : 12 lots sont vendus. Les maisons doivent respecter le même ordonnancement, rez-de-chaussée à arcades, deux étages de brique, avec chaînage en pierre. Seuls subsistent aujourd'hui les pavillons d'extrémité, face à la statue équestre d’Henri IV (qui date de 1818).
    • Le pont Notre-Dame est reconstruit sous Charles VI qui institue un impôt sur le bétail, le sel et le poisson. Il est le premier pont dont les maisons sont numérotées (ce qui ne les empêche pas de sombrer en 1499 avec le pont).

    Les ponts sont le plus souvent à péage : par ordre chronologique, Pont-au-Double (ainsi nommé parce que les cavaliers acquittent un double tournois, péage supprimé en 1789), Petit-Pont (péage institué par Saint Louis sur les passants et les marchandises) et Grand-Pont (ou Pont-Notre-Dame), Pont des Arts (de 1803 à 1848), Pont Royal et Pont des Invalides. Certaines catégories de personnes sont exonérées, ce qui suscite des conflits et de la triche : par exemple, les ecclésiastiques sont dispensés sur les ponts qui mènent à Notre-Dame. Les nobles et les parlementaires se rendent à la Cité sans payer. En 1353, les écoliers sont exonérés, aussi bien ceux qui fréquentent les écoles de la Cité (écoles religieuses) que ceux des collèges de la rive gauche. Au Petit-Pont, les montreurs de singes s'exonèrent en faisant faire un tour à leurs animaux, d'où l'expression "payer en monnaie de singe". Plus tard, les invalides seront exonérés au Pont des Invalides.
    Les autres moyens de franchissement sont les bacs (plus nombreux que les ponts). Ce sont en général des entreprises privées, de service public, donc soumises à autorisation. En 1827, une série de concessions sont accordées sous Louis-Philippe pour remplacer les bacs ou reconstruire des ponts vétustes : pont d'Arcole, pont des Invalides (un premier pont suspendu n'est jamais livré à la circulation à cause d'un défaut de construction), pont de l'Archevêché (à côté de Notre-Dame, archevêché qui sera incendié lors des émeutes de 1831), Pont de Grenelle (concessionnaires : promoteurs du quartier de Beaugrenelle). Ces ouvrages sont à péage (pour rembourser le concessionnaire). Les péages sont abolis en 1848, et les concessionnaires dédommagés par l'État.
    Les ponts ne sont pas seulement un moyen de franchir le fleuve. Ils attirent chalands et commerçants, ces derniers étant soit ambulants soit fixés dans des échoppes. Les ponts sont alors bordés de commerces et de maisons. Le Pont Notre-Dame accueille libraires et armuriers et le Petit-Pont les apothicaires au XIIIe siècle, puis les marchands d'étoffes au XVIe siècle. Les maisons sont détruites progressivement après une décision de 1786. Ainsi, les maisons du pont Saint-Michel ne sont démolies qu'en 1807. Le Pont-Neuf est le premier à être construit sans maison. La haute société prend plaisir à s'y promener. Les balcons du Pont-Neuf sont mis à profit par divers marchands ambulants. Le jour de Carnaval, des parties de dés et de cartes s'y jouent. Du temps de Louis XIV, on y trouve des mandarines, fruits rares à cette époque. Des colporteurs de livrets subversifs jouent à cache-cache avec la maréchaussée. En ces temps-là, les librairies n'existent pas. La littérature est très surveillée. Les bouquinistes obtiennent reconnaissance et s'installent sur les parapets des quais Voltaire, rive gauche, et du quai de la Mégisserie, rive droite. Leur nom, datant du XVIIIe siècle, viendrait de "bouc", par allusion à l'odeur des reliures contenues dans leurs boîtes. Leur profession est légalisée seulement en 1859. Aujourd'hui, ils sont 245 concessionnaires.
    L'eau qui coule sous le pont est utilisée pour sa force motrice, soit pour moudre du blé, soit pour faire fonctionner des forges. Le Pont-aux-Meuniers est dédié aux meuniers. En 1141, Louis VII accorde aux monnayeurs installés sur le "pont-au-change" le privilège de "battre" monnaie, et de faire le change et la rectification des monnaies usagées. Le pont reconstruit après la crue de 1280 est occupé par les orfèvres (ce qui n'est pas très éloigné des monnayeurs).
    Les crues, les glaces et les incendies sont les ennemis des ponts :

    • crues : la crue de 1280 emporte le Pont-au-Change et le Pont Saint-Bernard qui relie l'île de la Cité à l'île Notre-Dame (partie de l'actuelle île Saint-Louis), où est installé un port pour le bois. Philippe-le-bel le fait reconstruire en instaurant un péage.
    • 1499 : le pont ND est emporté.
    • 1596 : le Pont-aux-Meuniers est emporté.
    • débâcle de glaces, qui emportent les ponts ou endommagent les piles : le pont des Invalides est endommagé en 1880.
    • incendies : le Petit Pont brûle en 1748.
      Autre accident : la pont Saint-Louis (qui relie l'île du même nom à la Cité) s'effondre au passage d'une procession, en 1630.

    Au XXe siècle, les ponts sont élargis (Pont de la Concorde : 1925-31, Pont national : 1936), ou construits pour les expositions universelles (Pont Alexandre III) ou pour les chemins de fer ou le métro (Bercy : 1904, viaduc d'Austerlitz : 1937). Certains travaux s'inscrivent dans le plan Marquet de lutte contre le chômage.

     

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    Les quais
    Les premier quais en pierre sont de part et d'autre du Pont-Neuf, mais antérieurs à cet ouvrage : quai des Grands Augustins (1313), quai de la Mégisserie (1369). Les travaux se poursuivent vers l'aval immédiat et vers l'amont de l'île de la Cité : François Ier fait bâtir le quai du Louvre (vers 1520), quai Malaquais (1550), quai de la Tournelle (1554). Les quais de la Cité sont plus tardifs (quai de l'Horloge, 1580, quai des Orfèvres, 1620). Les quais de Saint-Louis sont construits au moment du lotissement de l'île par le promoteur Marie (1615-50).

    Pierre-Yves Landouer, novembre 1997

    Lecture : Quais et ponts de Paris, Marc Gaillard, Ed Martelle.